L’atmosphère dominante de 2024 fut celle du kitsch, à l’image de l’événement qui lui imprima sa tonalité : les Jeux olympiques et paralympiques. Sans minimiser la réussite ni la qualité rare de joie de vivre qu’ils sont parvenus à procurer aux plus réfractaires, force est de constater que leur dimension artistique fut médiocre. Pauvreté du design : logo à mèche, signalétique mièvre aux tons pastel, objets emblématiques bien en deçà de ce qu’avaient pu imaginer Philippe Starck ou Martin Szekely en 1992 pour les J.O. d’hiver d’Albertville. Décevant spectacle des cérémonies, émissions de variétés sans rythme, enfilant citations et clichés à défaut d’images neuves – demeurera celle de l’envolée de la vasque, belle dans le lointain.
Kitsch pompeux de « l’esthétique de la célébration », des marques omniprésentes, des programmes Art et Sport opportunistes, aussitôt oubliés. Kitsch patrimonial, qui révèle que nous sommes entrés dans un moment nouveau de l’histoire de la postmodernité, où il ne s’agit plus de faire du vrai avec du faux, de donner l’illusion d’authenticité avec des artifices, comme au temps d’Umberto Eco, mais de faire du faux avec du vrai, de vider la ville de sa réalité pour la transformer en décor. Apogée d’une tendance instaurée par l’univers du luxe, où l’on construit le fond de scène d’un défilé avec de vrais morceaux de monuments, où l’on crée de fausses œuvres (aussi appelées hommages ou « collabs ») avec de vrais artistes, où l’on ouvre de fausses librairies remplies de vrais livres…
L’ANNÉE DU TROP
Trop de richesse dans le design (Homo Faber à Venise, le PAD ou Design Miami à Paris),dans l’art (la passion des matériaux, du textile, du verre, de la céramique, du grand artisanat) ou dans la musique (l’épaisse pop symphonique). Œuvres surgonflées, comme à la Biennale de Venise, où l’obsession de l’expérience immersive, de l’art total, rend anecdotiques jusqu’aux meilleures propositions (le Pavillon australien ou le beau film de Wael Shawky, Drama 1882, noyé dans la décoration du Pavillon égyptien). Expositions qui exhibent la démesure de leurs moyens, ratissent trop de sujets ou trop d’œuvres pour abolir la distance critique, saturer l’espace et passer à autre chose. Plutôt que de faire beaucoup avec peu, on s’est souvent attaché à produire peu avec beaucoup.
Mais l’année écoulée a vu aussi naître les exceptions, les étincelles : la magie du mouvement des œuvres chorégraphié par Tino Sehgal à la Fondation Beyeler, près de Bâle (« Dance with Daemons », mai-août) ; celle des silhouettes imaginées par Petrit Halilaj sur le toit du Metropolitan Museum, à New York (« Abetare », avril-octobre) ; celle des dormeurs d’Apichatpong Weerasethakul dans un Atelier Brancusi métamorphosé*1. La parcimonie poétique des expositions de la galerie A1043 ou de la Fondation Azzedine Alaïa, à Paris. Le souffle des films de Mohamed Bourouissa (Généalogie de la violence) ou de Caroline Poggi et Jonathan Vinel, dont la vidéo La Fille qui explose fut l’un des chocs de l’automne. Et le regard irremplaçable que portent sur l’art les artistes eux-mêmes, à qui l’on doit certaines des meilleures propositions des derniers mois : l’extravagant Culte des Banni·e·s d’Arnaud Labelle-Rojoux*2 ; les essais élégants et précis de Nick Mauss (Dispersed Events*3 et Body Language*4) ; ou Albert Oehlen installant merveilleusement les sculptures de Hans Josephsohn au musée d’Art moderne de Paris*5. Indispensables antidotes à la lourdeur du temps.
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*1 « Particules de nuit/Night Particles », 2 octobre 2024-6 janvier 2025, Atelier Brancusi, Centre Pompidou, Paris.
*2 Arnaud Labelle-Rojoux, LCDB (Le Culte des Banni·e·s), Dijon, Les presses du réel/Al Dante, 2023.
*3 Nick Mauss, Dispersed Events. Selected Writings, Paris, After 8 Books, 2024.
*4 Nick Mauss et Angela Miller, Body Language. The Queer Staged Photographs of George Platt Lynes and PaJaMa, Berkeley, University of California Press, 2023.
*5 « Josephsohn vu par Albert Oehlen », 11 octobre 2024-16 février 2025, musée d’Art moderne de Paris.