Ville de Norvège de 200 000 habitants située à 500 kilomètres au nord d’Oslo, Trondheim peut s’enorgueillir de son riche passé. La cité fut en effet fondée dès 997 par le roi viking Olaf Ier Tryggvason (vers 964-1000) sous le nom de Nidaros. Il en fit la capitale du royaume, ce qu’elle restera jusqu’en 1217. Surtout, il entreprit la christianisation forcée de son peuple et y établit la première église de Norvège. Cette activité de missionnaire fut poursuivie par son fils, Olaf II Haraldsson (vers 995-1030), qui aurait été baptisé en 1014, au cours de l’un des raids vikings sur la Normandie, par l’archevêque Robert le Danois, à Rouen précisément. La crypte de la cathédrale – peinte par Claude Monet (1) – conserve d’ailleurs des reliques de ce roi norvégien. En 1031, un an après sa mort, le souverain fut canonisé par l’Église catholique, ce qui en fit le premier saint scandinave.
Dans cette ville devenue lieu de pèlerinage, une église en bois fut au cours des siècles transformée en importante cathédrale de pierre, le style roman des débuts faisant place à un vaste édifice gothique inspiré de l’Angleterre et de la France, qui fut achevée autour de 1230, même si elle fut en partie reconstruite par la suite, après plusieurs incendies. Plus grand monument médiéval de Scandinavie, la cathédrale de Nidaros constitue un site majeur pour les couronnements et les cérémonies royales en Norvège. C’est là que se déroule la « bénédiction du souverain », qui marque officiellement, aujourd’hui encore, le début du règne d’un nouveau roi dans le pays.
DES TRANSFORMATIONS HAUTES EN COULEUR
C’est dans cette ville septentrionale au très riche patrimoine que les collectionneurs Monica et Ole Robert Reitan ont décidé d’ouvrir un important musée d’art moderne et contemporain. Le groupe Reitan est propriétaire depuis 2015 du palace de la cité, l’hôtel Britannia – membre des Leading Hotels of the World –, qui a rouvert en 2019 après une campagne de travaux conséquente. Sur le trottoir d’en face se dresse le bureau de poste historique de Trondheim, vaste bâtiment Art nouveau édifié en 1911 par l’architecte norvégien Karl Norum. Fermé en 2011, il avait perdu sa nécessité avec le développement des moyens de communication dématérialisés. Cet édifice idéalement situé abrite ainsi depuis le 15 février 2025 un nouveau musée, lequel, comme l’ancien bureau de poste en son temps, entend relier la ville au reste du monde et placer Trondheim sur la carte internationale de l’art.
Si la façade Art nouveau restaurée n’a pas subi de modification, n’était-ce la grande pièce lumineuse d’Ugo Rondinone installée sur le toit, arborant en lettres arc-en-ciel « Our Magic Hour » (2003), l’intérieur a été totalement transformé par l’architecte et designer française d’origine iranienne India Mahdavi, avec son homologue norvégien spécialiste du patrimoine Erik Langdalen.
L’entrée se fait par une porte peinte d’un rose intense, d’où le visiteur est directement accueilli par la pièce lumineuse accrochée au plafond, Marquee (2025), une commande spéciale passée à Philippe Parreno. Fidèle à son vocabulaire, India Mahdavi a parsemé les espaces de touches de couleurs franches, comme la boutique tout habillée de rose pâle, qui n’est pas sans évoquer celle des saumons norvégiens, ou cet orange éclatant dont elle a recouvert l’escalier iconique desservant tous les étages, colonne dorsale s’élevant à l’emplacement d’une ancienne cour intérieure. Cette utilisation de la couleur a aussi été inspirée par les promenades de l’architecte dans une ville qui en fait largement usage, comme dans le quartier de Midtbyen pour ses maisons alignées au bord de l’eau. Chaque étage distille une atmosphère différente, à commencer par le sous-sol qui apparaît comme un espace neutre et minimal, avec ses tons de gris, un lieu de transition. Il s’agit ici du premier grand projet de musée pour l’architecte d’intérieur, laquelle a récemment signé le réaménagement de la Villa Médicis, à Rome, et la scénographie de l’exposition « Pierre Bonnard » à la National Gallery of Victoria, à Melbourne, en 2023. « C’était à la fois un travail d’hospitalité et de circulation, précise India Mahdavi. Nous avons identifié des zones qui sont ce que j’appelle des “in-between spaces” : la boutique à l’entrée, le grand escalier, la reading room, sont comme des fragments du bâtiment permettant de se reposer, d’être ensemble et de conserver ce thème de l’hospitalité. » Au 3e étage est justement aménagé une bibliothèque-espace de lecture dans une salle sous charpente dans un esprit très chalet, avec sa décoration chargée signée de Gijs Frieling et Job Wouters. Le parcours muséal réserve quelques surprises, comme cet espace noir, agrémenté de plusieurs Bishop – tabouret signature d’India Mahdavi –, ouvrant sur l’extérieur et offrant une vue sur une cour intérieure. Dans celle-ci est présentée une grande sculpture de Monira Al Qadiri.

Sculptures de Franz West au rez-de-chaussée du PoMo, Trondheim 2025.
© Franz West. Courtesy d’India Mahdavi, Paris et d’Erik Langdalen Arkitektkontor, Oslo. Photo Valérie Sadoun
EXPOSITION INAUGURALE
Pour son ouverture, le PoMo présente l’exposition collective « Postcards from the Future » conçue par le commissaire Rasmus Thor Christensen. Elle s’appuie sur les œuvres de la collection en cours de constitution – laquelle ne comporte pour le moment qu’une trentaine de numéros –, mais aussi sur les pièces appartenant aux fondateurs, ainsi un ensemble de gravures d’Edvard Munch, qui bénéficient d’une salle entière, ou de Giovanni Battista Piranèse, qui dialoguent avec Anne Imhof, comme en 2021 au Palais de Tokyo, à Paris (2). Le parcours repose sur de nombreux prêts, tel le Mao (1972) d’Andy Warhol en provenance du Louisana Museum of Modern Art, à Humlebaek (Danemark). « Il est essentiel pour nous de travailler avec d’autres institutions, qu’elles soient privées ou publiques. Nous avons déjà un projet avec le Moderna Museet, à Stockholm [Suède], pour notre prochaine exposition itinérante qui ouvrira en août 2025 », précise la directrice du PoMo, Marit Album Kvernmo. Une collaboration avec un grand musée français sera aussi prochainement annoncée.
La collection s’est volontairement orientée vers l’acquisition d’œuvres d’artistes femmes, dans une proportion de 60 % environ. « Je suis fière que nos fondateurs et propriétaires aient pris cette position et agissent concrètement pour corriger le déséquilibre de représentation des femmes dans les collections », poursuit la directrice. Le musée est aussi attentif à la création en Norvège, avec, par exemple, la présentation dans cet accrochage inaugural d’une œuvre commandée à Sandra Mujinga, née en République démocratique du Congo et installée à Oslo.
Éclectique, la première exposition débute par un magnifique ensemble de pièces de Franz West dans l’espace du rez-de-chaussée, en dialogue avec Philippe Parreno et Katharina Fritsch. Le parcours se poursuit avec des œuvres de Robert Irwin, Louise Bourgeois, Peter Fischli & David Weiss, Simone Leigh, Catherine Opie ou encore Irving Penn. Au dernier étage se déploie une œuvre murale en dégradés de noir, de gris et de blanc, de Sol LeWitt. En un face-à-face surprenant avec l’orange vif de l’escalier...
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PoMo, Dronningens Gate 10, 7011 Trondheim, Norvège, pomo.no
(1) Série des Cathédrales de Rouen, 1892- 1894.
(2) « Natures mortes », carte blanche à Anne Imhof, 22 mai-24 octobre 2021, Palais de Tokyo, Paris.