Udomsak Krisanamis : Toi et moi
Lorsque, au début des années 1990, il faisait l’apprentissage de l’anglais en même temps que de l’art conceptuel, Udomsak Krisanamis avait pris l’habitude de noircir dans les journaux américains les mots qu’il connaissait déjà. Cette manière de faire devait ensuite lui inspirer certains dessins avant qu’il ne développe une méthode pour d’étonnantes peintures-collages. Celle-ci consiste à prélever des lettres et des chiffres dans les journaux et les étiquettes de prix de supermarchés, et les recouvrir de noir à l’exception des ronds dans les lettres O et P, les chiffres 0, 6 et 9, et quelques lettres de l’alphabet thaïlandais. Il assemble ensuite ces éléments en étroites bandes noires à pois blanc sur lesquelles il peint ou non des boucles ou des motifs de grilles. Ces tableaux électriques évoquent des plans de villes, des diagrammes ou des compositions lettristes. Un grand tableau titré Passport to Heaven fait voir le processus de travail à travers quelques bandes non recouvertes par le noir dévorant. Toi et moi offre un portrait éclaté de l’artiste. Sa figure est présente sous la forme d’un masque accompagné de deux pointes de pratique de golf géantes et d’un dessin démarqué du zouave du papier à rouler Zig Zag. C’est d’un côté une fausse idole grave, de l’autre un esprit rieur. Parallèlement aux œuvres picturales, Udomsak Krisanamis a conçu une installation nourrie de références au golf et à la musique, deux de ses grandes passions. Au « toi » que nous sommes est offert l’accès à un piano, à un équipement hi-fi et à des clubs de golf. L’artiste expose également des collages faits de pages de journaux et de tickets récoltés au cours de son bref séjour parisien, avec plein de trous à la perforatrice. Les confettis sont exposés dans une boîte en carton avec des balles de golf dorées.
Du 15 mars au 16 avril 2025, Galerie Chantal Crousel, 10, rue Charlot, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Jose Dávila : Half Empty, Half Full » chez Almine Rech. © Jose Dávila. Courtesy de l’artiste et Almine Rech. Photo : Nicolas Brasseur
Jose Dávila : Half Empty, Half Full
Jose Dávila a mis la question de l’équilibre au cœur de son travail de sculpteur. À travers elle, il appuie sa relation à l’histoire des avant-gardes et donne un miroir de l’existence. Il empile des pierres de toute sorte, fait se chevaucher des poutrelles IPN ou bien appuie deux plaques de verre colorées contre une mince plaque d’acier corten en J, comme s’il s’agissait de dessiner dans l’espace. De cette façon, Dávila plutôt que d’aligner des masses sculpturales élabore une réflexion sur l’art de construire et d’habiter. Trois structures de fauteuils Acapulco, emblèmes du design mexicain, ont été superposées et suspendues en hauteur. Lestées d’une plaque d’acier ressemblant à un safran, elles invitent à la rêverie. Tout près d’elle, une mince tige d’acier est tenue debout par deux fils rattachés chacun à un empilement de trois pierres disparates. Aucune manifestation de force ni effet de tension dans ce cas-là, mais la définition d’un espace par un subtil jeu de marques. Multipliant les variations sur un même thème, l’artiste a dans une autre salle agencé trois poutrelles orange en plaçant sur l’un des bords de chacune d’elles un bloc de ciment ayant pris la forme d’un sac de toile déformé. C’est une vision de l’architecture qui se double d’une approche très physique, quasi tactile. Les tableaux participent d’un même esprit de jeu avec la pesanteuret l’histoire de l’art. S’inspirant des cercles d’Hilma af Klint, Lioubov Popova et d’autres, Dávila les sectionne les réagence pour suggérer le mouvement et produire de l’espace. Les discours spiritualistes, révolutionnaires ou op qui soutenaient les modèles de référence s’effacent au profit d’une vision ouverte et actuelle.
Du 15 mars au 19 avril 2025, Almine Rech, 64, rue de Turenne, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Jochen Gerner : Monsieur Linea » chez Anne Barrault. Photo : Aurélien Mole
Jochen Gerner : Monsieur Linea
Bédéaste et artiste, Jochen Gerner a fait de la hachure de recouvrement et de l’aplat noir un instrument d’investigation et de révélation. À la manière d’un artiste conceptuel, il réfléchit aux pouvoirs du trait à partir d’illustrations anciennes et, plus rarement, d’images trouvées sur les écrans. Une grande composition réunit quarante-deux petits dessins représentant chacun une table d’un style et d’un bois particulier. Sur chaque dessin a été tracée une grille filtrante, délimitée par le plateau et l’extrémité des pieds, qui reproduit la texture du bois telle que figurée dans le dessin inspirateur. Quarante-deux vignettes qui offrent autant d’échappées visuelles à partir d’une réalité solidement incarnée. Un mur est couvert d’une centaine de dessins dans différents formats, certains sur des pages de bloc de commande de bistrot, comme un modeste Atlas ou une table de recherche. Par les détournements, les recouvrements, les imitations et les citations, Jochen Gerner navigue à travers les époques, ramène les choses à lui, faisant vieillir certaines images, en rafraîchissant d’autres. Pour n’en citer qu’un parmi la centaine, prenons celui d’une image du mont Fuji capturée sur YouTube, et reproduite avec son écran et la mention « 36 vues ». Être « Monsieur Linea », c’est aussi savoir se rendre sur Internet pour retrouver un maître ancien.
Du 15 mars au 26 avril 2025, Anne Barrault, 51, rue des Archives, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Allison Blumenthal : A Windening Angle » chez Parliament. Courtesy Parliament
Allison Blumenthal : A Windening Angle
Allison Blumenthal revendique la non-figuration, l’absence de figure humaine et se dit convaincue que l’abstraction peut être politique. La dizaine de tableaux qu’elle expose, tous peints au crayon pastel avec parfois des ajouts de peinture à l’huile, sont débordants de traits et d’énergie. Elle peint sur la toile étalée au sol, en faisant également usage de ses doigts et de ses ongles. Elle gratte, corrige, reprend, efface. L’absence d’intention figurative ne nous empêche pas d’y voir des effets d’eau ou de ciel, ou d’imaginer la fourrure d’un animal. Une part de l’attrait et de la beauté de ces œuvres tient à la façon dont elles ouvrent sur un monde de sensations tout en étant lestées d’un poids de réalité qu’apportent les marques du sol, et en particulier les lignes de pliure. On perçoit tout à la fois la puissance d’entraînement et d’absorption de couleurs flamboyantes et la rugosité du processus de travail. Celui-ci renvoie à notre part d’animalité et reflète aussi l’inhumanité à laquelle nous sommes quotidiennement confrontés. Autant dans son apparence que dans ses intentions, il y a dans cette peinture quelque chose de puissamment romantique.
Du 8 mars au 19 avril 2025, Parliament, 36, rue d’Enghien, 75010 Paris