Le 30 janvier 2025, le Louvre Abu Dhabi avait des allures de fête. Non content d’avoir orchestré avec l’aide de l’agence France Muséums un passionnant symposium sur les enjeux présents et futurs des musées africains, le vaisseau dessiné par Jean Nouvel inaugurait une ambitieuse exposition sur les rois et les reines d’Afrique. Fruit du regard croisé de trois commissaires (Hélène Joubert, responsable de l’unité patrimoniale des collections Afrique du musée du quai Branly – Jacques Chirac, à Paris ; El Hadji Malick Ndiaye, conservateur du musée Théodore-Monod, à Dakar ; Cindy Olohou, critique d’art et commissaire d’exposition indépendante), le parcours riche de quelque 360 pièces d’exception a en effet l’immense mérite de donner une image flamboyante et souveraine de l’Afrique, aux antipodes des clichés réducteurs et des idées trop souvent fallacieuses colportés sur ce continent. Il suffisait de voir le regard empli de fierté des artistes croisés lors du vernissage (dont le Malien Abdoulaye Konaté, figure tutélaire auprès de la jeune génération) pour mesurer combien l’enjeu de faire dialoguer leurs œuvres avec ce passé glorieux était de taille !
LE BEAU AU SERVICE DU POUVOIR
Embrassant la notion polymorphe et mouvante du pouvoir sur près de dix siècles et à travers plus de quarante royaumes des régions occidentale, orientale, centrale et australe du continent, l’exposition affiche d’emblée la volonté d’inscrire la créativité artistique africaine au cœur de l’histoire de l’art mondiale et sur un temps long. On ne sera donc pas étonné de découvrir, à l’entrée du parcours, ce célèbre groupe du Louvre représentant le pharaon nubien Taharqa en train d’accomplir un rituel d’offrande devant le dieu Hémen. Loin des canons stéréotypés de l’art égyptien, ce souverain qui régna sur les royaumes de Kouch et d’Égypte vers 700 avant notre ère revendique ici fièrement sa carnation sombre et ses traits africains. Réalisée dans une feuille d’or martelée à 22 carats, une imposante paire de boucles d’oreilles peule fulani bat, quant à elle, immédiatement en brèche l’idée d’un art fait de matériaux modestes et éphémères. C’est ce même souci du faste et du paraître que l’on retrouve chez les souverains akan de Côte d’Ivoire et du Ghana.
« Certains objets sortent pour la première fois des réserves, pour aller porter un message qui se veut universel et s’adresse à la sensibilité plus qu’à l’intellect. Les exposer, c’est mettre à l’honneur ceux qui les ont produits. Ces artistes presque toujours anonymes, dont l’histoire n’a enregistré ni le nom, ni la biographie, ni l’œuvre, sont à travers les objets qu’ils ont réalisés, les ambassadeurs de l’Afrique des siècles passés, et les figures de pouvoir qui les ont commandités – rois, reines, princes et princesses, chefs et leur cour, aristocrates et notables, chefs de guerre, prêtres et devins –, des points de rencontre entre les cultures du monde », souligne ainsi dans le catalogue (1) Hélène Joubert qui a conçu ce parcours comme un vibrant hommage à la créativité africaine sous toutes ses formes.
Ainsi, loin de ne mettre l’accent que sur la statuaire et les masques (néanmoins sublimes), cette grande spécialiste de la parure et des textiles n’a pas omis de faire la part belle à ces regalia tout aussi précieux que sont les pagnes de prestige entièrement tissés en soie et popularisés sous le nom de « kenté » des peuples ashanti (Ghana), ou bien encore ces couronnes yoruba (Nigéria) en fibres végétales et en perles autrefois portées par l’oba (le roi).

Ayana V. Jackson devant Sea Lion, série From the Deep : In the Wake of Drexciya, 2019, photographie pigmentaire.
© Ayana V. Jackson. Photo Bérénice Geoffroy- Schneiter
DES FACE-À-FACE STIMULANTS
De même, on aurait tort de voir dans ces cohortes de tabourets, d’appuie-nuque, d’instruments de musique, de pipes ou de calebasses, de simples objets de la vie quotidienne, aussi raffinés soient-ils ! Ainsi une pièce que notre œil occidental pourrait interpréter, de prime abord, comme une modeste vannerie s’avérait être, chez les Tutsis (Grands Lacs), un récipient réservé aux élites et réalisé exclusivement par des membres de l’aristocratie féminine. Directement inspirée du mobilier portugais du XVIIe siècle, une chaise de notable tshokwé (Angola) se pare, quant à elle, de figures sculptées qui illustrent les moments clés de l’existence humaine, de la naissance à la mort, et mettent en scène des symboles du pouvoir. S’y glisse ainsi la figure tutélaire du souverain tshokwé, dont l’archétype est le prince-héros chasseur Tshibinda Illunga, reconnaissable aisément à sa coiffure à ailettes. Mais l’un des objets les plus fascinants de l’exposition n’est autre qu’un tabouret de chef bamiléké de la région du Grassland camerounais. Recouvert de tissu perlé, il épouse la forme redoutable d’une pan- thère, avatar de la puissance royale dont il constitue le double naturel et effrayant.
L’une des réussites majeures de l’exposition réside, en outre, dans ces dialogues féconds tissés entre ces plasticiens et leurs homologues contemporains. Orchestrés par El Hadji Malick Ndiaye et Cindy Olohou, ces face-à-face démontrent en effet combien l’art africain d’hier est désormais source d’inspiration pour les artistes, qui détournent avec pertinence ses thèmes et ses codes esthétiques pour se les réapproprier. Ainsi, comment ne pas être saisi d’émotion par la proximité troublante d’une tête en terre cuite du royaume d’Ifé (Nigéria) aux joues délicatement striées (XIIe-XIVe siècles) avec un portrait féminin signé par la photographe franco-sénégalaise Delphine Diallo ? Et comment ne pas reconnaître dans l’étincelante « vague » d’aluminium et de cuivre de l’artiste ghanéen El Anatsui qui clôt l’exposition la réminiscence des flamboyants textiles royaux ashanti et éwé ? Comme un écho aux figures des anciennes reines d’Afrique, les artistes femmes font aussi entendre magnifiquement leurs voix au sein de ce parcours. Elles ont pour noms Mary Sibande, Ayana Jackson, Julie Mehretu...
(1) Hélène Joubert et Cindy Olohou (dir.), Rois et reines d’Afrique. Formes et figures du pouvoir, Gand, Snoeck, 2025, 285 pages, 45 euros.
-
« Rois et reines d’Afrique : formes et figures du pouvoir », 29 janvier-8 juin 2025, Louvre Abu Dhabi, Saadiyat, Abu Dhabi 2260, Émirats arabes unis, louvreabudhabi.ae