Après un hiver morose, le soleil revient à Paris. C’est sous un ciel bleu éclatant que s’est ouvert Art Paris mercredi 2 avril au Grand Palais. Une embellie palpable aussi dans les allées de la foire, alors que la plupart des exposants étaient dans l’expectative. « L’intérêt et le désir pour l’art sont toujours là. Oublions la conjoncture, les incertitudes, et faisons-nous plaisir, se disent les visiteurs, ravis de se rendre sur cette foire largement consacrée aux galeries et aux artistes français », se réjouit Daniel Templon, pour qui cette édition a bien démarré avec la vente à une collection française d’une sculpture de Gérard Garouste représentant le Juif errant pour moins de 100 000 euros. Il a aussi cédé des œuvres de François Rouan, Hervé di Rosa, Bilal Hamdad ou Philippe Cognée, parfois à partir de 15 000-20 000 euros.
Plusieurs enseignes ont mis les petits plats dans les grands pour séduire les visiteurs, principalement issus de l’Hexagone – un public a priori peu concerné par les dernières annonces de Donal Trump sur la hausse des droits de douane aux États-Unis. Loevenbruck a organisé son vaste stand comme un appartement de collectionneurs avec salon, salle à manger et chambre, et des pièces à tous les prix, « pour montrer qu’on peut vivre avec l’art, et ne pas être juste face au marché et à des œuvres à vendre », explique Hervé Loevenbruck. « Après Drawing Now couronné de succès, j’ai l’impression avec Art Paris que nous voyons la lumière après un tunnel de cinq à six mois. Le lieu est superbe, la météo clémente, les gens ont envie de se faire plaisir. Reste à espérer que cette sortie du tunnel ne soit pas provisoire ! », ajoute-t-il. La galerie parisienne s’est délestée de nombreuses œuvres dès le premier jour et même la veille, notamment de Dewar & Gicquel, Takis, Gilles Aillaud ou encore une petite installation suspendue – un chapeau et un phallus – de Tetsumi Kudo, Japonais de Paris dont l’estate est aujourd’hui représenté par Hauser & Wirth. Une pièce cédée à une grosse collection asiatique.

Stand de la galerie christian berst art brut. Photo : A.C.
De son côté, christian berst art brut a demandé à l’artiste Annette Messager de concevoir un très beau stand bleu nuit entièrement consacré aux femmes dans l’art brut, de Jacqueline B à Anna Zemankova. La galerie Zlotowski a sorti une rare mosaïque de Sonia Delaunay à 190 000 euros, création des années 1950 réalisée en 2003 par les ayants droit, un exemplaire se trouvant au Centre Pompidou. Pour Guillaume Lointier, directeur à la galerie Almine Rech à Paris, « la première journée d’Art Paris s’est déroulée avec succès et nous avons eu l’occasion de discuter avec de nombreux collectionneurs parisiens et français. On sent un fort intérêt et nous espérons que les ventes seront aussi concluantes qu’aujourd’hui ». L’intérêt était vif en particulier pour The Blue Sentinels de Claire Tabouret, une tapisserie réalisée en 2024 en collaboration avec les Ateliers Pinton d’Aubusson, dont un exemplaire a été cédé à 170 000-190 000 euros. Au registre de la tapisserie, c’est avec le Mobilier national que Françoise Pétrovitch a réalisé l’importante pièce sur le passage à l’adolescence qui orne le nouveau secteur dédié au design déployé sur les balcons.

Françoise Pétrovitch, tapisserie Paul, 2024, 286 x 230 cm, laine et coton. © Collection des Manufactures nationales, Sèvres & Mobilier national, Gavin Macdonald
Si le démarrage de la foire a été bon, ce sont sans grande surprise les œuvres relativement abordables qui sont parties en premier, avec plus de lenteur pour le reste. La peinture figurative domine cette édition, avec presque pas de vidéo et très peu de photo. « Les gens ont toujours de l’argent comparé à ces dernières années, il n’y a aucun problème pour vendre des œuvres à moins de 50 000 euros, ils n’hésitent pas. Au-delà, c’est devenu plus dur », nuance Daniel Templon. Une situation qui bénéficie aux jeunes enseignes réparties sur les balcons. Sous un soleil un peu trop fort, elles ont souvent su attirer l’attention d’un public curieux… et acheteur. La galerie Anne-Laure Buffard a dû réaccrocher dès le premier jour ses œuvres d’Ilanit Illouz (une exposition de l’artiste est prévue cet été à la Maison européenne de la photographie à Paris) et les peintures de l’Australien Gregory Hodge (jusqu’à 29 000 euros pour une grande œuvre de ce dernier). « Nous avons vendu à un Français, un Américain et un Britannique », précise Antonin Rocard, directeur associé. La galerie ouvre un deuxième espace le 16 avril rue Chapon, dans le Marais, presque en face de son adresse actuelle. Inaugurée en novembre 2024 dans ce même quartier, la toute jeune galerie Prima s’est vite séparée de deux grandes peintures au fusain de Bryce Delplanque (à 7 000 euros) invitant à plonger dans des rafraîchissantes piscines turquoise…

Stand de l'Edji Gallery consacrée au travail de Killion Huang. Photo : Aesthete Studio
Mais l’un des succès les plus foudroyants est sans conteste celui obtenu par l’EDJI Gallery de Bruxelles, qui a inauguré son espace permanent en 2023 et dont c’est la première participation à une foire internationale. Les grandes peintures (à 8 600 euros la plus grande) et les délicats pastels (en dessous de 1 000 euros) du jeune Killion Huang – très prisé aux États-Unis mais aussi dans son pays, la Chine, où son travail se trouve entre autres dans les collections du X Museum à Pékin et du A4 Museum de Chengdu – s’y sont vendus comme des petits pains. L’univers intimiste et très humain de ce Chinois formé à l’école supérieure d’art de Hangzhou mais aussi à la School of Visual Arts de New York n’a pas attiré qu’une audience queer à Art Paris…
La foire se veut une plateforme pour les artistes français : Thomas Lévy-Lasne a remporté le Prix BNP Paribas Banque privée, dévolu précisément à cette scène hexagonale, et la Maison Ruinart a donné carte blanche à Lélia Demoisy à Art Paris. Mais elle est aussi parfois une belle vitrine pour des artistes étrangers. Ainsi, l’artiste ukrainienne Zhanna Kadyrova, représentée par la galerie Continua, est la lauréate du premier Prix Her Art. Cette récompense fort bien dotée et consacrée aux artistes femmes de la scène internationale, complète justement le panorama offert par la foire.
Art Paris, jusqu'au 6 avril 2025, Grand Palais, 75008 Paris.