La publication d’un ouvrage peut paraître cocasse à ceux qui connaissent la pratique d’Éléonore False. Les livres, cette dernière a plutôt tendance à les effeuiller, en arracher des pages entières ou y faire des trous pour prélever un motif qui aurait accroché son œil. Ils sont sa matière première, une source intarissable à ses catalogues d’images. Si elle se laisse parfois guider par un sujet, son instinct répond surtout à la texture des images : un pelage animal, la matérialité d’un papier, une échelle d’impression, une couleur caractéristique d’une époque...
Découpés, soumis à des jeux de recto verso, renversés ou agrandis, agencés dans un collage ou transformés en trompe-l’œil, ces prélèvements mènent à l’élaboration de mondes que l’artiste veut étranges et ambigus. Il s’agit de créer un trouble chez le spectateur, de chambouler le regard pour le libérer : « Ce qui m’intéresse à travers ces appropriations, c’est la perception que l’on peut avoir d’une image. Mon intention est de réinterroger ce que l’on croit voir et savoir afin d’ouvrir l’imaginaire. »
MULTIPLICITÉ DES TECHNIQUES ET DES IDÉES
Parfois, l’image devient sculpture. Elle peut aussi être transposée aux arts décoratifs – le verre, la tapisserie, la vannerie ou le textile – auxquels Éléonore False s’est formée avant de se tourner vers les Beaux-Arts. Elle aime se confronter à la matière et aux techniques, et cette porosité a quelque chose d’émancipateur, pour l’artiste autant que pour le spectateur. Ce n’est pas un hasard si elle touche à des pratiques longtemps considérées comme « féminines », à l’image de la courtepointe. Sans être revendicative, la question de la condition de la femme est sous-jacente à son œuvre.
Imaginée et éditée par la commissaire d’exposition Mathilde de Croix, cette première monographie est une invitation à découvrir l’univers d’Éléonore False au fil de cinq ensembles. Cinq thématiques qui sont autant d’entrées à son œuvre : l’idée du camouflage, notamment végétal ; la soustraction du corps au profit des intérieurs et des objets ; le « corps empêché » soumis à une forme de torsion ; l’importance du geste incarnée par une omniprésence de la main ; et enfin un goût du macro qui touche à une dimension plus sensuelle de son œuvre. Sa lecture constitue une expérience plastique depuis la couverture ajourée et pliée jusqu’aux différents types de papiers utilisés. Le livre révèle avec poésie son processus créatif en reproduisant de manière inédite les pochettes plastiques où elle compose ses ensembles d’images. Un opus regorgeant de vie, qui ne se départit en rien de la part de mystère propre aux créations d’Éléonore False.
Mathilde de Croix, Éléonore False. Ensembles,
Paris, Empire, 2024, 256 pages, 35 euros.