Le nouveau régime douanier annoncé par le président américain Donald Trump plonge le commerce international de l’art et des antiquités dans une confusion généralisée, semant l’inquiétude chez les marchands du monde entier. Tous cherchent désormais à savoir si leurs œuvres ou objets d’art sont exemptés de ces nouvelles taxes lorsqu’ils sont vendus ou exposés aux États-Unis, et quel serait, le cas échéant, le taux réel appliqué. Peu de nations ou de partenaires commerciaux historiques ont été épargnés lors de l’annonce de cette batterie de droits de douane qui visera plus de 60 pays, dévoilée par Donald Trump lors d’une conférence de presse dans la roseraie de la Maison-Blanche le 2 avril 2025.
Les importateurs souhaitant faire entrer des biens sur le sol américain devront désormais s’acquitter de droits compris entre 10 % et 54 %, selon les prétendus déséquilibres commerciaux existants entre les États-Unis et chaque pays concerné. Si ces tarifs sont étendus aux œuvres d’art et aux antiquités, les pays les plus durement touchés seraient notamment le Japon (24 %), l’Inde (26 %), le Royaume-Uni (10 %), les États membres de l’Union européenne (20 %) et la Chine (54 %). À noter que certains de ces nouveaux droits s’ajoutent à des taxes déjà en vigueur, accentuant encore leur impact potentiel.
Selon la Harmonised Tariff Schedule du gouvernement américain, certains biens – dont les œuvres d’art – sont explicitement exemptés de droits de douane. Sont concernés : peintures, dessins, pastels, gravures originales, estampes, lithographies, sculptures originales, ainsi que les objets d’intérêt archéologique, ethnographique ou historique, et les antiquités de plus de 100 ans. « En temps normal, les peintures et sculptures sont exemptées de droits de douane », rappelle Nicholas M. O’Donnell, avocat associé au cabinet Sullivan & Worcester à Boston. « Mais avec les nouveaux tarifs annoncés, les choses se compliquent », ajoute-t-il, soulignant que le président Trump a invoqué, pour les mettre en œuvre, une loi rarement appliquée : l’International Emergency Economic Powers Act de 1977, qui lui confère des pouvoirs d’urgence exceptionnels en matière de commerce international.
Au départ, Donald Trump avait déclaré l’état d’urgence à l’égard du Canada et du Mexique, invoquant l’importation de fentanyl. Un mois plus tard, il a étendu cette mesure au reste du monde, cette fois au nom des déséquilibres commerciaux que, selon lui, les États-Unis subissent.
Or, la loi invoquée – l’International Emergency Economic Powers Act (IEEPA) – ne confère pas le pouvoir d’imposer des restrictions ou des droits de douane sur les « matériaux informationnels », une catégorie qui inclut expressément les œuvres d’art, comme le précise Nicholas M. O’Donnell. « La lecture la plus logique de ces nouveaux tarifs devrait donc exclure les œuvres d’art de l’augmentation des droits de douane, quel que soit le pays d’origine », affirme-t-il.
Cependant, les tarifs annoncés par Trump le 2 avril, qui doivent entrer en vigueur le 9 avril 2025, autorisent son administration à appliquer un taux uniforme de 10 % sur toutes les marchandises importées aux États-Unis, avec des taux plus élevés pour certains pays. Son application aux biens culturels demeure incertaine, alimentant une insécurité juridique persistante.

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Nicholas M. O’Donnell souligne en outre que des questions constitutionnelles majeures se posent quant à la légalité de ces tarifs. « Il est légitime de se demander si de tels droits peuvent même être imposés, explique-t-il. Si l’administration estime que les tarifs les plus élevés s’appliquent aux œuvres d’art, cela soulève un vrai problème. En résumé : en vertu de la Constitution américaine, seul le Congrès peut lever des impôts. Toute délégation de ce pouvoir doit donc passer par un examen minutieux, et taxer des œuvres d’art sur la base d’un lien supposé avec le trafic de drogue apparaît juridiquement fragile. »
L’art est-il exempté ou concerné par les nouveaux droits de douane ?
Les avis divergent chez les juristes spécialisés dans le marché de l’art quant à savoir si l’édit présidentiel s’applique ou non aux œuvres d’art. Michael McCullough, avocat associé du cabinet new-yorkais Pearlstein & McCullough, affirme que depuis le 5 avril, toutes les œuvres produites hors des États-Unis sont soumises à un tarif douanier de 10 %. À partir du 9 avril, ce tarif devrait passer à 20 % pour les œuvres en provenance de pays de l’Union européenne, et encore plus élevé pour certaines autres régions du monde.
À l’inverse, Pierre Valentin, ancien juriste chez Sotheby’s et aujourd’hui associé en charge du groupe de droit de l’art et des biens culturels au sein du cabinet d’avocats Constantine Cannon à Londres, affirme que le nouveau régime tarifaire de Donald Trump exclut explicitement les « matériaux informationnels », une catégorie qui inclut l’art. Selon lui, cette exception vise à respecter les garanties constitutionnelles américaines en matière de liberté d’expression. « Il serait donc cohérent, dans cet esprit, d’interpréter cette exclusion comme s’appliquant à l’ensemble des biens culturels », précise-t-il. La position dominante, selon Pierre Valentin, est que même si le terme « œuvres d’art » n’est pas précisément défini, il doit être interprété de manière large, englobant aussi bien les formes traditionnelles (peintures, sculptures) que les médiums contemporains, tels que l’art numérique, ainsi que les artefacts culturels.
Plusieurs associations de marchands d’art et d’antiquités ont appelé à une clarification urgente concernant les catégories d’objets concernées par les nouveaux tarifs douaniers – tout en demandant expressément que les biens culturels en soient exclus.
Dans un communiqué publié le 25 mars 2025, la Ligue internationale de la librairie ancienne (International League of Antiquarian Booksellers), basée à Londres, déclarait : « Si nous comprenons l’intérêt des droits de douane lorsqu’ils s’appliquent à des matériaux nouvellement fabriqués, leur application à des objets anciens nous paraît inappropriée et disproportionnée. Nous déplorons également les effets que ces mesures pourraient avoir sur l’essor international de l’éducation, du savoir et de la recherche. »
De son côté, la Confédération internationale des négociants en œuvres d’art (CINOA), basée à Bruxelles, a publié une déclaration exhortant l’Union européenne à ne pas inclure les œuvres d’art dans ses mesures de rétorsion à l’encontre des États-Unis : « Les œuvres d’art sont des créations uniques, réalisées par des artistes individuels, non par des usines ou des entreprises. Elles ne sont pas produites en série et ne contribuent pas aux distorsions du marché, contrairement à des biens industriels comme l’acier ou les produits agricoles. Généralement échangées par des particuliers ou de très petites structures, et non par de grands fabricants ou distributeurs, les œuvres d’art ont un impact négligeable sur les déséquilibres commerciaux. »
Erika Bochereau, secrétaire générale de la CINOA, évoque un « malaise général » parmi les plus de 5 000 membres de l’organisation. Cette inquiétude est liée à l’incertitude sur les droits de douane applicables, mais aussi au nom des collectionneurs avec lesquels les marchands travaillent, « qui ne savent pas combien il leur en coûtera pour acquérir une œuvre, notamment s’ils doivent l’importer », précise-t-elle.
Pour l’instant, la position dominante reste l’attentisme. Un porte-parole de la maison de ventes Christie’s nous a déclaré : « Il est encore trop tôt pour évaluer l’impact potentiel de ces nouveaux tarifs. Christie’s est une entreprise internationale, capable de s’adapter à l’évolution de l’économie mondiale. Nous suivrons la situation de près et nous ferons des ajustements si nécessaire. »
En règle générale, les droits de douane s’appliquent au lieu de production des objets importés, si bien que des pièces chinoises sont soumises au tarif chinois, même si elles appartiennent à un propriétaire britannique. Mais des incertitudes subsistent quant à l’application de ce principe dans le cadre du nouveau régime tarifaire de Donald Trump. « Supposons que quelqu’un souhaite importer un vase en porcelaine chinoise monté en France, explique Clinton R. Howell, antiquaire basé à New York, président de la CINOA et coprésident de la Art & Antique Dealers League of America. Cette personne devra-t-elle s’acquitter à la fois du tarif chinois et du tarif européen ? »

Vue de l’édition 2024 de la Tefaf New York. Photo : Julian Cassady. Courtesy de The European Fine Art Foundation
Clinton R. Howell souligne que de nombreux objets de ce type – à la provenance mixte ou complexe – seront probablement présentés lors de foires, expositions et ventes aux enchères organisées aux États-Unis dans les semaines à venir. Parmi elles : la Dallas Art Fair (10-13 avril), la San Francisco Art Fair (17-20 avril), Expo Chicago (24-27 avril), sans compter toutes les grandes foires et ventes new-yorkaises prévues en mai. Il convient de plus de noter que le simple fait d’importer une œuvre à des fins d’exposition ou de vente suffit à déclencher l’application du tarif douanier, qu’elle soit vendue ou non. Kinsey Tobb, directrice exécutive de la Art Dealers Association of America (ADAA), indique avoir été submergée de questions de la part de marchands américains et étrangers, se demandant notamment si ces taxes sont « temporaires » en cas d’absence de transaction. Ses réponses vont de « nous ne savons pas vraiment » à la diffusion de nouvelles peu rassurantes.
En quête de clarté
Mark Dodgson, secrétaire général de la British Art Dealers Association, confirme que « des membres [le] contactent en permanence » pour poser les mêmes questions, et qu’il ne peut leur répondre qu’en leur transmettant les maigres informations dont il dispose. Le partage d’informations et la collecte d’avis sur les nouveaux tarifs sont devenus une activité à temps plein. « Nous sommes bien entendu en contact étroit avec nos principaux transitaires pour la Tefaf New York, ainsi qu’avec nos conseillers juridiques, fiscaux et logistiques, indique de son côté Will Korner, responsable des foires à la Tefaf. Nos conseillers insistent sur le fait que les réglementations spécifiques ne sont pas encore codifiées », ce qui fait que « les effets exacts sur les œuvres d’art restent incertains ».
« Nous sommes en territoire inconnu, déclare Pierre Valentin. L’incertitude quant à la manière dont le décret présidentiel sera appliqué en pratique est loin d’être idéale, en particulier pour les collectionneurs et les professionnels du marché de l’art qui prévoient d’expédier des œuvres et des antiquités vers les États-Unis dans un avenir proche. » Un porte-parole d’Art Basel exprime une incertitude similaire. « Nous sommes conscients que les récents droits de douane internationaux pourraient avoir des conséquences importantes sur les marchés mondiaux, y compris sur le marché de l’art, affirme-t-il. Dans cette situation sans précédent, qui continue d’évoluer, l’impact global sur la communauté artistique internationale reste incertain. Notre équipe suit les développements de près, échange avec des experts du marché et des associations professionnelles, et reste en contact étroit avec nos exposants. Nous restons fermement engagés auprès de nos galeries et dans la construction d’un écosystème artistique résilient et dynamique. »
Le manque de clarté se fait sentir à tous les niveaux. Axel Haddad, directeur pour les beaux-arts chez Grospiron Fine Art, société parisienne spécialisée dans l’emballage et le transport d’œuvres d’art, résume la situation présente : « Notre objectif est de comprendre ce qui se passe. » Même constat pour James Hendy, vice-président senior et directeur général de Crozier Fine Arts, entreprise de logistique artistique présente sur 30 sites à travers le monde : « Il y a beaucoup de bruit, mais aucune véritable clarté sur les règles en vigueur. » Selon lui, la question que ses clients lui posent le plus souvent est celle du calendrier : faut-il, en fonction des droits de douane actuels ou à venir, expédier une œuvre aujourd’hui, la semaine prochaine, le mois prochain ? Les transporteurs spécialisés doivent appliquer les règles imposées par les États-Unis et par les autres gouvernements, rappelle-t-il, ajoutant que « de nombreuses négociations sont en cours entre les États-Unis et plusieurs pays, et nous transmettons à nos clients les informations dès qu’elles nous parviennent ».