Le réjouissant dialogue mis en scène dans « Nous construisions un fantastique palais la nuit...» à l’Institut Giacometti, à Paris, est l’occasion de rappeler combien les arts plastiques d’enfant sont devenus une source d’inspiration pour la création moderne et contemporaine. À partir de deux ensembles de dessins méconnus d’Alberto Giacometti et leur transposition en sculptures filiformes par le Kosovar Petrit Halilaj, l’exposition compose un univers onirique issu de graffiti et autres gribouillages d’enfant. Convaincus non pas de l’innocence, mais plutôt de « l’assurance » de l’enfance – pour reprendre le mot d’Alberto Giacometti –, les deux artistes réunis pour la première fois poursuivent une tradition moderne engagée à la fin du XIXe siècle.
Unir les formes
Au fil du temps, des avant-gardes, aussi variées que l’expressionnisme, le fauvisme, Der Blaue Reiter (Le Cavalier bleu), le Bauhaus, le surréalisme ou encore CoBrA, ont vu dans le dessin d’enfant un terrain de recherche des origines de l’art, amenant Henri Matisse, Pablo Picasso, Paul Klee, Natalia Gontcharova, Vassily Kandinsky et Gabriele Münter, pour ne citer qu’eux, à puiser dans ce nouveau vivier de gestes et de motifs.
L’essor de l’intérêt pour cette autre sorte d’art perçu comme primitif coïncide avec un changement de regard porté sur l’enfance et ses aptitudes créatives. Partie intégrante de l’instruction obligatoire dès son instauration en 1882, l’enseignement du dessin en France passe d’une pédagogie rigide fondée sur la reproduction de figures géométriques à un modèle d’apprentissage plus libre ouvert à l’expression personnelle des jeunes élèves.
Parallèlement apparaît en Allemagne un programme éducatif alors révolutionnaire : le Kindergarten (littéralement « jardin d’enfants », « école maternelle »). Conçue en 1837 par le pédagogue Friedrich Fröbel, la méthode consiste à stimuler la créativité à l’aide de divers Spielgaben, « dons à jouer » (jouets éducatifs) et « occupations » (activités). En conciliant la main et l’esprit, l’approche nouvelle a pour ambition de révéler les liens qui unissent « formes de la nature, formes de la connaissance et formes de la beauté ».
La réinterprétation par des artistes à l’âge adulte de ces exercices ludiques contribue à alimenter la modernité artistique au sens large. Les architectes Frank Lloyd Wright et Buckminster Fuller, par exemple, ont témoigné explicitement du rôle décisif joué par le souvenir de manipulation de cubes de construction durant leurs années de jardin d’enfants. Pour Gego, l’artiste vénézuélienne née à Hambourg, ce sont les jeux de pliage et de tressage de papier qui auront une influence déterminante. Plus récemment, une œuvre hommage d’Aurélien Froment rassemble la totalité des Spielgaben en un jubilatoire « Fröbel fröbelé1 » (2014), fidèle au premier grand principe de l’éducateur pionnier : l’apprentissage par le jeu.