Comment vivez-vous personnellement ce confinement ?
Le confinement est pour moi la modalité totalement inattendue d’un événement dont je pensais qu’il était à long terme inéluctable : les limites de plus en plus irréfutables de notre fonctionnement, des ressources planétaires, sont à la source de tensions multiples que la crise sanitaire actuelle cristallise et qu’il faudra désormais surmonter. J’essaie de détourner les contraintes du confinement vers une grande remise en question, à la fois personnelle et stratégique. La gestion au quotidien des équipements absorbe beaucoup d’énergie. J’espère cependant contribuer à faire du patrimoine un élément de réponse aux nombreux problèmes à résoudre pour l’avenir dans de nombreux domaines, qu’il s’agisse d’écologie, d’économie ou de cohésion sociale.
Comment les Musées de Marseille se sont-ils organisés ?
La priorité a tout d’abord été d’assurer la sécurité des équipes, des collections et des bâtiments, grâce aux agents qui – conformément au plan de continuité de l’activité que nous avions établi – se rendent régulièrement, jour et nuit, sur nos sites avec courage et détermination. Malgré l’incertitude qui a dominé ces quatre premières semaines de confinement, nous pouvons compter sur l’engagement des agents de sûreté et des équipes scientifiques qui assurent une veille patrimoniale systématique, dans le respect des règles de sécurité. Grâce à la collaboration de plusieurs services de la Ville de Marseille, nous avons accompagné les agents qui sont tombés malades au cours de cette période. À l’heure d’aujourd’hui, ils sont heureusement peu nombreux et nous n’avons pas eu à déplorer dans les équipes des cas de Covid-19 sévères nécessitant une hospitalisation. J’espère qu’il en sera toujours ainsi. Comme tous les services de la Ville de Marseille, les équipes des Musées de Marseille ont imaginé un fonctionnement à distance malgré le traumatisme d’une fermeture brutale de nos établissements et une attaque informatique massive qui nous a privés dans un premier temps de nos moyens informatiques. Ce qui est rassurant est que nous avons trouvé, au sein de la direction de l’Action Culturelle, des dérivatifs pour continuer à travailler pour l’avenir avec une motivation qui ne s’est pas démentie. Nous gardons par ailleurs un contact et échangeons des informations, administratives mais aussi culturelles, avec la plupart des plus de 400 agents qui composent nos équipes, grâce à une messagerie collective.
Sur quels projets travaillez-vous pendant cette période ?
Le report de plusieurs opérations – notamment l’exposition d’une quarantaine de chefs-d’œuvre du musée des beaux-arts, du musée Grobet-Labadié et du château Borély - musée des Arts décoratifs de la Faïence et de la Mode au Salon du dessin, de même que la grande exposition coproduite avec la RMN-GP sur le « Surréalisme dans l’art américain » au Centre de la Vieille Charité, à laquelle nous continuons de travailler, nous ont beaucoup sollicités. L’incertitude qui grandit, notamment chez nos collègues anglo-saxons qui ne bénéficient pas du soutien que nous apportent en France l’État et les collectivités publiques, comme pour nous la Ville de Marseille, invite à la plus grande prudence en matière d’échanges et d’expositions. Nous pouvons cependant compter sur la BnF [Bibliothèque nationale de France] qui a renouvelé son engagement exceptionnel de prêts des plus belles pièces de céramiques antiques du Cabinet des Monnaies et Médailles pour l’exposition « Terre ! - Escales mythiques en Méditerranée ». Nous devrions pouvoir présenter à notre public ce très beau projet mêlant collections nationales et municipales au musée d’Histoire de Marseille, fleuron de nos musées depuis sa restructuration-extension en 2013. Nous inaugurerons également le moment venu un très bel accrochage de nos collections explorant l’héritage surréaliste dans la mode au château Borély et une exposition de photographies des sites archéologiques syriens en miroir de nos collections du Proche-Orient dans la nouvelle muséographie du Musée d'archéologie méditerranéenne du Centre de la Vieille Charité. Nous gardons en ligne de mire la biennale Manifesta avec laquelle six de nos musées sont étroitement associés, dont l’inauguration est reportée au-delà du 6 juin. Cependant, nous pressentons que l’après crise sera difficile et appellera davantage d’attention à nos ressources locales. C’est là que la force du patrimoine est incontournable tant la riche histoire de Marseille nous a légué de trésors à donner à voir et comprendre : nous réfléchissons à une opération hors les murs pour renforcer le maillage territorial de nos treize établissements ouverts au public qui pourrait avoir lieu dès la fin de l’année. Nous innoverons dès le début de 2021 avec une exposition reliée à la recherche académique d’une part et l’apprentissage des pratiques artistiques d’autre part, que nous souhaiterions ériger en assises internationales de la peinture autour d’une exposition consacrée à Gérard Traquandi au musée Cantini, en lien notamment avec l’École des beaux-arts de Marseille et les très dynamiques ateliers d’artistes de la Ville. En continuité avec les collaborations que nous avions tissées avec la Friche la Belle-de-Mai, le théâtre de la Criée, le Centre international de Poésie de Marseille, le Mucem pour notre dernière grande exposition « Par Hasard ». Enfin, j’espère parachever le premier grand projet scientifique et culturel transversal pour tous les Musées de Marseille.
Quels dispositifs avez-avez-vous mis ou allez-vous mettre en place pour rester en contact avec le public ?
Un autre de nos grands chantiers sur lequel nous continuions ardemment de travailler est la refonte de notre site Internet qui devrait pouvoir être mis en ligne à la fin du mois d’avril. Ce serait la plus belle chose, grâce à des fonctionnalités nouvelles que nous pourrions faire pour enrichir les liens que nous gardons à distance avec notre public. Nous sommes aussi actifs que nous le pouvons sur notre nouvel chaîne YouTube qui rassemble et éditorialise nos contenus vidéos et essayons de varier les registres de nos publications sur les réseaux sociaux entre émerveillement, surprise, éducation et jeu, pour tous les âges et les centres d’intérêt : la force des Musées de Marseille sur terre comme sur le Net est de conserver des collections d’excellence relevant de l’ensemble de la création humaine, du IVe millénaire avant J.-C. à l’art le plus actuel.