Scène de plage. À l’écran, le personnage de Soho Eckstein lit son journal dans une chaise longue, tandis que le paysage autour de lui se transforme en rêve mouvant animé par les ajouts et les effacements successifs des traits de fusain. Neuvième film de la série des Drawings for Projection de William Kentridge, Tide Table clôt l’exposition « Tout un film ! » au Drawing Lab à Paris. D’abord programmé pour la 14e édition de Drawing Now Art Fair, prévue en mars 2020 et annulée en pleine progression de la pandémie, cet accrochage atypique a été reprogrammé jusqu’au 25 février au centre d’art parisien – qui a le statut de galerie privée – fondé par Christine Phal, également présidente de la foire. Riche d’une dizaine de prêts de la Cinémathèque française, il aborde un sujet rarement mis en lumière par les musées et les institutions: les rapports étroits entre le dessin et le cinéma.
« Le dessin est présent pendant toutes les étapes de la création d’un film, des maquettes préparatoires à la production », explique Françoise Lémerige, chargée du traitement des collections dessins et œuvres plastiques à la Cinémathèque française et commissaire de l’exposition avec Joana P.R. Neves (directrice artistique de Drawing Now). La Cinémathèque abrite un fonds d’arts graphiques collecté depuis 1936 par Henri Langlois et constitué aujourd’hui de 16 500 œuvres cataloguées et numérisées. Sortis de cette importante collection pour l’exposition, les story-boards réalisés par Alex Tavoularis pour Le Parrain 2 de Francis Ford Coppola montrent comment les codes de la bande dessinée peuvent être mis au service du 7e art.
« Utilisés pour fixer le budget du film pendant la préproduction, les story-boards d’Alex Tavoularis reprennent toute la narration du film, image par image, pour savoir avec le plus de précision possible quel acteur, quel accessoire, quel élément de décor doivent intervenir », précise Françoise Lémerige. Des dessins d’Akira Kurosawa pour Les Sept Samouraïs, des celluloïds de La Bergère et le ramoneur de Paul Grimault, des maquettes d’affiches de Sébastien Laudenbach ou encore un ready-made d’Alejandro Jodorowsky sont convoqués pour révéler l’omniprésence du geste graphique dans l’élaboration d’un film.
Mais c’est avant tout le lien du cinéma à la création contemporaine que l’exposition « Tout un film ! » met en valeur, en exposant le travail des artistes Camille Lavaud, Mathieu Dufois, Antoine Marquis et Elsa Werth. Mis en regard des dessins d’Alex Tavoularis, les affiches et les story-boards fictionnels de la plasticienne Camille Lavaud font surgir un monde du cinéma imaginaire. Plus loin, une installation de Mathieu Dufois rend hommage à l’art expressionniste du décorateur Alexandre Trauner. Imaginé en collaboration avec Françoise Lémerige à partir d’un dessin de Trauner pour le film jamais achevé La Fleur de l’âge, de Marcel Carné. L'installation Et ne reste que le décor associe une maquette en volume modélisée à partir du dessin original et un film d’animation qui immerge dans le décor très noir d’une œuvre qui n’a jamais existé. « Travailler avec un artiste contemporain à partir d’archives de la Cinémathèque était quelque chose de nouveau que j’aimerais développer pour faire vivre la collection de dessins », souligne Françoise Lémerige.
Cette collection a été particulièrement sollicitée pour la future exposition « La Magie du cinéma », consacrée à Georges Méliès à la Cinémathèque française, qui conserve un fonds de plus de 400 dessins de ce pionnier du cinéma. Prévue pour ouvrir dès que les lieux culturels y seront autorisés, elle inaugurera le nouvel espace d’exposition de la Cinémathèque française, baptisé Musée Méliès.
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« Tout un film ! », jusqu’au 25 février, Drawing Lab, 17 rue de Richelieu, 75001 Paris.