La nature morte de Jean Baptiste Siméon Chardin Le Panier de fraises des bois, adjugée le 23 mars 2022 chez Artcurial pour 24,4 millions d’euros au galeriste Adam Williams de New York, présent dans la salle à Paris, a été classée trésor national par la ministre de la Culture Roselyne Bachelot le 22 avril. La présidente-directrice du musée du Louvre, Laurence des Cars, a officiellement fait savoir dans un entretien au Figaro qu’elle souhaitait acquérir ce tableau. Le Louvre a échoué à convaincre l’expert Éric Turquin et le commissaire-priseur Matthieu Fournier d’Artcurial ainsi que les vendeurs à convenir d’une vente de gré à gré. Ne disposant pas du budget d’acquisition nécessaire pour préempter le tableau, Laurence des Cars se dit « mobilisée » pour trouver un bienfaiteur. Selon nos informations, TotalEnergies, déjà mécène du Louvre, pourrait être intéressé pour apporter ces 24,4 millions d’euros et bénéficier de l’avantage fiscal de la loi mécénat. Pour que le ministère de la Culture refuse le certificat d’exportation au tableau, il a fallu l’avis favorable de la Commission consultative des trésors nationaux et probablement l’accord du ministère de l’Économie et des Finances.
Si toutefois, trente mois après le classement, le Louvre n’arrivait pas à réunir le financement nécessaire, le véritable acheteur de l’œuvre aux enchères, à savoir le Kimbell Art Museum de Fort Worth, au Texas, pourrait accueillir le petit tableau de Chardin dans son beau musée, comme nous l’a assuré au téléphone son directeur depuis 2009, Eric M. Lee. Dans cet entretien exclusif, ce dernier révèle son intérêt pour le tableau.
NOUS AVONS ENVIRON 70 TABLEAUX DU XVIIIE SIÈCLE FRANÇAIS
Olga Grimm-Weissert : Le Kimbell Art Museum est connu pour son architecture, considéré comme le chef-d’œuvre de l’architecte Louis Kahn, construit à partir de 1966.
Eric M. Lee : Et inauguré en 1972. Le Kimbell est connu mondialement pour le bâtiment et la qualité de sa lumière, dans laquelle la nature morte Le Panier de fraises des bois de Chardin sera en parfaite harmonie avec son environnement.
La collection du musée a plusieurs orientations, de l’Asie à l’art européen. Est-ce que le XVIIIe siècle français est bien représenté ?
D’une manière générale, nos collections ne sont pas très importantes en nombre, mais elles sont renommées pour leur qualité exceptionnelle. Nous avons un dessin de Chardin, des panneaux de Boucher, un Fragonard, un portrait par Le Brun – environ 70 tableaux du XVIIIe siècle français. En outre, nous avons l’unique œuvre de Michel-Ange aux États-Unis, ce qui est notre grande fierté.
Pourquoi avez-vous chargé Adam Williams d’enchérir pour vous à Paris ?
Le tableau de Chardin a été exposé dans la galerie Adam Williams Fine Art [à New York] pendant une semaine. Et nous avons une bonne relation avec le galeriste depuis des années. Il était donc logique qu’il nous représente.
Avait-il une limite pour enchérir ou une totale liberté concernant le prix d’adjudication ?
Nous lui avons donné une limite. Mais le prix n’est pas l’essentiel pour un tel chef-d’œuvre. En tous les cas, je considère qu’il s’agit d’un prix adéquat pour le marché.
Étiez-vous au courant avant la vente aux enchères que le Louvre était intéressé par l’acquisition d’un 42e tableau de Chardin ? Et que Pierre Rosenberg, l’ex-président du musée, qui a organisé plusieurs expositions internationales de Chardin, tenait à cette acquisition quel qu’en soit le prix ?
Oui, je savais avant la vente que le passeport d’exportation risquait de ne pas être accordé. Mais ce tableau majeur vaut qu’on l’attende, y compris en risquant que ce soit finalement le Louvre qui l’obtienne. C’est « gagnant – gagnant », car dans tous les cas, c’est un musée important qui pourra l’accrocher. Ce tableau est un trésor national en France, il serait un trésor mondial dans notre musée où il serait bien gardé et en relation parfaite avec la collection.
Avez-vous parlé à l’expert Éric Turquin et au commissaire-priseur Matthieu Fournier après la vente ?
Oui, avec les deux, mais bien évidemment seulement après la vente. Si j’ai bien compris, la famille des vendeurs souhaitait un prix plus élevé que ce qui aurait été proposé dans une transaction privée. Par ailleurs, Éric Turquin a expliqué qu’autrefois, quand il travaillait chez Sotheby’s à Londres, on ne demandait jamais le certificat d’exportation avant la vente. Seulement après, quand on savait qu’un tableau allait vraiment quitter le territoire national. C’est cette stratégie que tout le monde reproche à Éric Turquin, stratégie qui est risquée, mais qui est souvent couronnée par un très bon prix.
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