En collaboration avec la Fondation Merz de Turin, le couple d’artistes disparus inaugure la nouvelle programmation de l’institution suisse.
Érigé sur la Place de Neuve, à deux pas du Grand Théâtre, le Musée Rath appartient à la constellation du Musée d’art et d’histoire (MAH) de Genève. L’endroit et son portique néoclassique accueillirent jadis de grandes expositions (Hopper, Giacometti, Markus Raetz, Richard Long, Notal Vital, Piranesi). Pour autant, l’institution se trouve en sommeil forcé depuis de nombreuses années. Il faut dire que le Rath est vaste et cher à faire fonctionner. Marc-Olivier Wahler, directeur du MAH, l’avait un temps réveillé avec une formule « Un thé au Rath » et quelques expositions au débotté. Pas de quoi rassurer ceux qui s’inquiétaient de voir les portes de ce musée trop souvent fermées. Avec Samuel Gross, responsable des expositions au MAH, Marc-Olivier Wahler lui a finalement trouvé une destination qui adhère avec le projet d’offrir un nouveau point de vue sur les vastes collections, parfois méconnues, du Musée d’art et d’histoire.
Première occurrence de cette expérience, l’accrochage des œuvres de Marisa et Mario Merz réalisé en collaboration avec Beatrice Merz, fille du couple, et directrice de la fondation qui porte leur nom. Le MAH possède une grande installation de l’artiste de l’arte povera né à Milan en 1925 et mort à Turin en 2003 : une œuvre Senza titolo de 1985 avec laquelle Mario Merz remporta le prix de la Banque cantonale de Genève. On y retrouve certains éléments typiques dans le vocabulaire du Milanais : les fagots de sarments de vignes, les plaques de lauze et les nombres en néon de la suite de Fibonacci qui étirent les mathématiques jusqu’à l’infini. « Cette pièce parle aussi de l’importance du lien que Mario Merz, qui était italo- suisse, entretenait avec notre pays, explique Samuel Gross. Et au-delà, permet de rappeler que l’Italie a toujours été un axe culturel important pour Genève qui pense trop souvent à celui qui part en direction de Paris. »
L’autre lien que l’exposition cherche surtout à mettre en avant, c’est
celui du couple formé par Marisa (1926-2019) et Mario Merz. « À ma connaissance, il a été peu contextualisé, poursuit le commissaire. Ils se sont respectés et ont produit chacun de leurs côtés une œuvre conséquente, tout en échangeant en permanence. Les pièces choisies avec Beatrice Merz montrent ce dialogue incessant, toute leur vie durant. » Il y a notamment cet assemblage de grands dessins avec lesquels vivait Marisa Merz. Au milieu des œuvres de son mari, elle avait accroché un de ses portraits épurés, petit visage émergeant au cœur d’une féerie de formes et de couleurs.
Un igloo exprime encore autrement cette complicité qui ne va jamais cesser d’animer les deux artistes. Igloo di Marisa est le premier d’une longue série qui sera la marque de fabrique de Mario Merz. Cet exemplaire a été réalisé en 1972 pour la Documenta 5 de Cassel et la 36e Biennale de Venise. Il est constitué de coussinets de tissus blancs attachés à une structure métallique. « On peut y voir une dédicace à l’œuvre de son épouse, reprend Samuel Gross. Ce que l’on observe aussi dans Tavolo per Marisa, l’une des dernières installations de Mario réalisée peu de temps avant sa mort. » Une imposante pointe de lance en bois transperce le plateau d’une table en verre, sous le regard d’une tête en terre crue modelée par sa femme.
La table est un objet récurrent dans le vocabulaire des deux artistes. Elle rompt les hiérarchies en mettant tout le monde sur un plan horizontal, sur un pied d’égalité. Il y en a une autre, gigantesque, exposée au Rath. Tellement grande qu’elle traverse les murs du musée. Sa forme en spirale appartient encore à ce langage symbolique que Mario Merz entretiendra tout au long de sa carrière. Des têtes en argile, en aluminium ou encore en bronze des années 1970 et 1980 de Marisa sont posées sur le plateau. « À un moment, Marisa a décidé de se retirer du monde de l’art, continue Samuel Gross. Elle n’y reviendra qu’en 1988, pour la Biennale de Venise, où elle expose une installation que nous présentons à l’identique. Pour elle, ce grand projet signifiera son retour à la visibilité auprès du public. »
« Toute l’œuvre de Mario et Marisa Merz est traversée par l’idée de l’origine, analyse Marc-Olivier Walher qui opère le rapprochement entre les travaux des deux artistes et les collections de l’institution qu’il dirige. Un musée encyclopédique tel que le MAH parcourt toutes les époques. Construire un igloo, c’est revenir à la forme originelle de l’abri, tout comme façonner un visage dans l’argile, c’est refaire des gestes qui ne sont pas tellement éloignés des vestiges archéologiques que nous exposons. »
« Marisa & Mario Merz », jusqu’au 26 septembre 2022, Musée Rath, Place de Neuve, Genève, Suisse