James Castle (1899-1977) n’a jamais quitté son Idaho natal, mais ses dessins ont beaucoup voyagé. En janvier dernier, ils étaient exposés à la galerie David Zwirner de New York. Ils flottaient dans le white cube comme des papillons de nuit. L’histoire de James Castle est étonnante, comme le sont toutes celles des artistes « outsiders » qui entrent par effraction dans l’histoire de l’art.
On ne lui connaît pas d’autre territoire que l’école pour sourds et aveugles de Gooding, l’ancienne glacière ou le poulailler de la demeure parentale à Garden Valley, puis à Boise, qu’il a transformés en atelier. Sa vie durant, il a arpenté son clos, pris dans la toile d’araignée de la maison aux fenêtres étroites, du pré cerné d’arbres, de la route scandée de poteaux électriques, des granges du hameau. On connaît son univers parce qu’il en a inlassablement reconfiguré les contours dans des dessins pas plus grands que des cartes postales, réalisés à l’aide de bâtons enduits de salive et de suie prélevée sur le poêle à bois familial. Parfois, son monde faulknérien se teinte de couleurs oniriques, moissonnées à
partir du bleu ménager qui sert à blanchir le linge ou de sucs de papiers crépon humidifiés.
Outsider ?
L’artiste est inconnu en France, mais présent dans toutes les collections des grands musées américains. Il revient au critique d’art Luc Vezin, dans un livre à la fois documenté et poétique, de nous introduire dans son monde énigmatique et d’interroger ce qui fait « le mystère de la création ». « Manipulé plus que guidé par cette ombre insaisissable et changeante », comme il le confie lui-même, il a « ouvert des journaux intimes », « violé une correspondance imaginaire », « rapporté des légendes » et produit un récit polyphonique qui mêle sa propre voix de narrateur à celles réinventées de tous ceux qui ont eu affaire au « cas James Castle » : frères et sœurs, neveu, l’artiste lui-même et ses « découvreurs » successifs.
Car le chemin a été long pour extraire « Jim » du cercle réducteur des « primitifs » et faire valoir qu’il n’était pas si idiot que cela, lui qui s’est nourri d’un précipité d’images et de textes qui transitaient par le relais de poste de son père. Journaux, publicités, bandes dessinées, reproductions de peintures, photographies, alphabets, calendriers ont fait le limon de son œuvre inclassable et torrentielle, qui charrie une autre histoire de l’Amérique.