En 2011-2012, l’artiste américain Dan Graham (1942-2022), auteur d’une œuvre majeure et protéiforme, a tenu une rubrique aussi insolite que réfléchie dans la mythique revue italienne de design Domus. Pendant douze mois, il a ainsi analysé la production d’architectes sous l’angle de leur signe zodiacal, moyen de mêler deux de ses passions, l’architecture et l’astrologie.
En introduction au présent recueil, l’historienne du design Alexandra Midal perçoit à travers l’intérêt de Dan Graham pour l’horoscope – souvent le premier sujet qu’il abordait dans une conversation – une manière de surmonter sa timidité autant que le reflet de son goût profond pour la culture populaire. En effet, dès les années 1960, l’artiste a exploré les périphéries, leur urbanisme et leur habitat ainsi que leur imaginaire, structuré par la culture de masse. En outre, l’architecture, ses contraintes et les usages que l’on en fait n’ont cessé de revenir au sein de son œuvre, notamment dans ses deux séries les plus célèbres : Homes for America (1966-1989) – photographies de lotissements construits aux États-Unis à une échelle industrielle après la Seconde Guerre mondiale – et les pavillons (à partir de 1976) – des espaces en verre, miroir et acier soumis à l’expérimentation du spectateur.
UN « HUMOUR ANARCHISTE »
Avec Architecture/Astrologie, Dan Graham, qui a longtemps eu une activité de critique, choisit donc un biais peu orthodoxe pour évoquer les grands noms de l’architecture du XXe siècle. Frank Gehry, lequel est Poissons, donne à ses bâtiments « la forme de son signe astrologique ». Mais, ajoute l’artiste avec ironie, « il serait simpliste d’analyser la relation de [Frank] Gehry aux ordres cosmiques comme l’expression du narcissisme d’un individu fasciné par la réflexion de sa propre image totémique ». Les Gémeaux, tel Frank Lloyd Wright, « dispose[nt] d’une capacité à embrasser simultanément tous les points de vue ». Aussi n’est-il guère étonnant que, dans ses maisons, il fasse tout irradier « à partir du cœur du foyer vers l’extérieur ». « Lion autoritaire, perfectionniste et créatif », Eero Saarinen, pour sa part, « s’impose comme le formidable architecte corporate des années 1950 ».
Quant au signe de la Balance, auquel appartient Le Corbusier, il « est connu pour être attiré par les belles choses sous lesquelles se cachent des sous-entendus violents et monstrueux ». À n’en point douter, ce petit livre iconoclaste est traversé par un « humour anarchiste », selon l’expression de Dan Graham lui-même, pareil à celui qui imprègne l’ensemble de son œuvre plastique et le reste de ses écrits.
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Dan Graham et Jessica Russell, Architecture/ Astrologie, Dijon, Les presses du réel, 2025, 104 pages, 18 euros.