À ceux qui, depuis trois ans, fustigent le logo des Jeux olympiques de Paris 2024, l’estimant plus proche de l’enseigne d’un… coiffeur, on ne saurait recommander un détour par Ulm, en Allemagne, à la Hochschule für Gestaltung, fameuse école de design fondée, en 1953, par l’artiste suisse Max Bill. Logé au cœur de cette institution, le HfG-Archiv Museum affiche en effet le travail d’un fabuleux créateur allemand, Otl Aicher (1922-1991), l’un des plus grands graphistes de la seconde moitié du XXe siècle, planétairement connu pour son travail pour les Jeux olympiques de Munich en 1972. À l’occasion du centenaire de sa naissance, le musée déploie une passionnante rétrospective en cent affiches. L’homme, en ces murs, n’est pas un inconnu : il fut en effet l’un des cofondateurs de l’école, y enseigna la communication visuelle, avant d’en être propulsé directeur, entre 1961 et 1964. Le lieu conserve d’ailleurs, depuis 1997, l’ensemble de ses archives.
Son grand œuvre, l’identité visuelle des JO de Munich, s’arroge évidemment le devant de la scénographie. Otl Aicher s’est mis à plancher sur le sujet dès les années 1967-1968. À l’époque, le souvenir des Jeux de Berlin de 1936 de triste mémoire est encore sensible et, on le sait peu, le cahier des charges que se verra confier Aicher est pour le moins ambitieux. Seul impératif : que rien ne rappelle la machine de propagande du IIIe Reich. Ces Jeux de Munich se devaient de « créer une atmosphère libre de préjugés ou de rivalités nationales, mais pleine d’ouverture, de tolérance et de gaieté ». Concrètement, il fallait montrer que le pays pouvait se présenter comme une démocratie pacifiste.
D’emblée, Otl Aicher évite tout pathos, gigantisme ou faste et, pour définir l’apparence, distingue trois éléments de base : couleur, police de caractères et symbole. Son équipe de plus de quarante personnes et lui imaginent alors une palette de laquelle ils excluent d’office le rouge et l’or, nuances préférées des nazis. Les principales couleurs sont le bleu clair, le vert clair, le jaune, l’orange, le bleu foncé et le vert foncé, en combinaison avec le blanc et l’argent. La police Univers du graphiste suisse Adrian Frutiger contribue à générer une esthétique limpide, jeune et moderne. Pour concevoir les vingt et une affiches correspondant aux différentes disciplines sportives, Otl Aicher use, en outre, d’une photographie qu’il manipule, grâce à un procédé appelé « isohélie », pour redéfinir, à son gré, la profondeur de l’image. L’effet est bluffant. En témoigne une trentaine d’affiches, dont quelques posters « complémentaires », tels celui pour le relais de la torche olympique et ceux pour le programme culturel des JO ou pour les lieux des compétitions, comme le Parc olympique de Munich. Un exemple : l’affiche pour le judo. Elle représente deux concurrents en pleine action sur le tatami. Le blanc de leurs kimonos émerge du fond bleu nuit comme s’il était soudain balayé d’un rai de lumière noire. Efficace en diable ! Otl Aicher développe également, à partir de diagrammes complexes, un système de pictogrammes qui, au final, pourront être utilisés internationalement, tant ils se révèlent explicites.
Ce puissant projet pour les JO est mis en regard dans l’exposition avec d’autres travaux du graphiste, commerciaux – entreprise, institution publique… – ou politiques, ce qui permet de cerner au mieux l’amplitude de son activité. Pour Otl Aicher, qui œuvra pour nombre de grandes firmes allemandes – ZDF, Bulthaup, Lufthansa, Braun, Durst, Bayerische Rück… –, l’affiche avait une mission claire : « elle est un objet de communication et non un objet d’art, elle a d’abord pour fonction d’être comprise à travers la société. » Ainsi, pour le fabricant de lampe Erco, il cherche à traduire l’intensité lumineuse et dessine un logo dont les quatre lettres du nom arborent des épaisseurs décroissantes, manière d’évoquer le produit « final » de la société : la lumière. Impeccable. Ailleurs, lorsqu’il s’agit de créer l’identité visuelle d’une ville, le graphiste se montre plus libre, n’hésitant pas à s’inspirer de motifs typiques, tels les sports alpins pour Bad Gastein ou la ruralité de l’Allgäu pour Isny.
Tout au long de sa vie, Otl Aicher, qui, adolescent, avait refusé de rejoindre les Jeunesses hitlériennes et, en 1943, vu ses amis Sophie et Hans Scholl assassinés par le régime nazi, a pratiqué la résistance, militant pour des causes politiques et prenant part à moult rassemblements. Cet engagement transpire à l’envi des affiches ici exposées, conçues pour des manifestations et autres raouts politiques. Leur caractéristique : une typographie souvent réduite, pouvant être réalisée avec des moyens d’impression simples. Ainsi en est-il de cette affiche pour une manifestation contre le réarmement. Le fond est aux deux tiers noir, en bas, et blanc pour le reste. Des missiles stylisés s’alignent comme à la parade en haut – en noir sur fond blanc – et en bas – en rouge sur fond noir – de l’affiche. Au milieu, un simple vocable, Nein [« Non »], en lettres blanches sur fond noir, foudroie le regard.
« Otl Aicher, 100 Jahre, 100 Plakate », jusqu’au 8 janvier 2023, HfG-Archiv Museum Ulm, Am Hochsträsse 8, Ulm, Allemagne, http://hfg-archiv.museumulm.de