a ppr oc he se présente comme un Salon prenant volontiers le contre-pied des nouveaux standards de l’image*. Fondé en 2017 par Emilia Genuardi et toujours logé dans les 300 m2 du Molière, l’hôtel particulier qui fut la dernière demeure du dramaturge, il en est à sa 6e édition (du 10 au 13 novembre 2022). Il rassemble, de façon conviviale, quinze galeries, françaises et internationales, sur le principe d’expositions individuelles dans des espaces ouverts. On peut y découvrir autant de solo shows, dont un duo, celui du photographe Vincent Fournier et du compositeur Sébastien Gaxie, lauréats du 5e prix Swiss Life à 4 mains. Ce prix, unique en son genre, récompense tous les deux ans un projet de création croisée entre un photographe et un compositeur. Leur œuvre Auctus Animalis se présente comme une fable initiatique racontant la métamorphose d’espèces hybrides en constellation – une interrogation poétique sur la transformation du vivant. Il en est de même pour Manon Lanjouère (galerie du jour agnès b.) avec son travail intitulé Les Particules qui offre une nouvelle forme au monde détruit de demain. Elle en réinvente la structure, l’histoire insolite de celle-ci étant à déceler sous des images fabriquées dont l’ambiguïté trouble notre perception.
LE REMPLOI DE PHOTOS ANCIENNES
Certains artistes s’appuient sur leur propre collection d’images pour réinterpréter celles-ci, à l’instar d’Alice Quaresma (Sobering Galerie, Paris), née au Brésil et vivant à New York, qui se base sur ses négatifs photographiques personnelles pour réinvestir ses souvenirs en utilisant notamment de la peinture, alors que le Belge Jonathan Rosić (Archiraar Gallery, Bruxelles) dissimule à l’encre de Chine des détails d’images issues de sa collection d’anciennes photographies promotionnelles, en ne laissant plus apparaître que les mains.
Si l’Américain Matt Saunders (galerie Analix Forever, Genève) surpeint partiellement des impressions C-Print de portraits d’icônes et d’idoles de sa jeunesse pour leur conférer une nouvelle identité, le Français Matthieu Boucherit (galerie Eric Mouchet, Paris et Bruxelles) travaille avec les images des autres, en dévoilant une réflexion sur la notion de pouvoir. Il tisse ainsi des liens entre une histoire des techniques de reproduction et la répétition des motifs.
Avec sa série Profile, l’Espagnol Javier Hirschfeld Moreno (Open Doors Gallery, Londres) explore l’identité et l’invisibilité queer à partir d’une collection de cartes de visite des années 1860, premier exemple de sociabilité et de flirt par la photographie. Il mêle à ces images anciennes des profils d’applications de rencontres pour gays dont les vrais portraits sont souvent remplacés par d’autres clichés, par souci de discrétion. Cette relation au corps se retrouve indirectement dans le travail de la Française Caroline Rivalan (galerie Eva Vautier, Nice) avec sa série Persona muta. Reprenant les images du professeur Charcot prises à la fin du XIXe siècle, elle interroge l’exploitation du corps féminin en croisant figure et folie afin de supprimer la posture d’autorité et de déconstruire les rapports de domination.
HYBRIDATION DES FORMES ET DES TECHNIQUES
D’autres artistes s’attachent à explorer la dimension plastique de la photographie tout comme l’influence de la lumière sur la surface sensible. Ainsi le Français Marc-Antoine Garnier (galerie Bacqueville, Lille) examine les frontières entre la sculpture et la photographie au travers d’une « spatialisation » de ce dernier médium traditionnellement considéré comme bidimensionnel. Il donne littéralement corps à ses images grâce à une réflexion sur leur matérialité et sur la façon de leur faire investir les lieux d’exposition. Isabelle Wenzel (Galerie Bart, Amsterdam), née en Allemagne, utilise quant à elle son propre corps pour s’intéresser à la matérialité du corps humain et mettre en avant son attrait sculptural. Le Belge Lucas Leffler (lauréat cette année de la résidence Picto Lab/Expérimenter l’image), fasciné par la matérialité de la chimie, tend à élargir sa pratique expérimentale de la photographie à d’autres formes et domaines comme la sculpture et l’installation.
Travaillant autant la lumière que l’abstraction, la Mexicaine Fabiola Menchelli (Marshall Gallery, Santa Monica, États-Unis) pousse plus loin l’interaction entre le papier et la sculpture pour aboutir à des photogrammes C-print pliés qui déterminent des espaces poétiques. Le résultat qu’elle obtient n’est pas sans affinités avec celui de la série de Pyramid de Liz Nielsen (Black Box Projects, Londres), qui réactualise par ailleurs les procédés chimiques photographiques. Le Japonais Daisuke Yokota (Kominek Gallery, Berlin) opère de façon presque iconoclaste en faisant bouillir ses négatifs pour provoquer la libération de l’émission sensible. Les images ainsi créées constituent de pures réactions chimiques, situées dans un espace intermédiaire, à la frontière du photographique et du pictural. Adepte lui aussi du brouillage des genres et des disciplines, le Français Baptiste Rabichon (galerie Binome, Paris) explore la photographie sous toutes ses formes, en mettant en place des outils et des protocoles complexes. À nulle autre pareilles, ses images combinent les ressources du photogramme comme celles du numérique. Chez lui, l’hybridation est également de mise, décidément un maître mot de ce Salon.
* En référence à l’ouvrage de Michel Poivert, Contre-culture dans la photographie, lancé pendant le Salon.
-
a ppr oc he, 10-13 novembre 2022, Le Molière, 40 rue de Richelieu,
75001 Paris.