Ce projet est votre deuxième intervention dans un contexte urbain, tourné vers un grand public.Est-ce pour vous une occasion de donner une autre image de l’art, visible et ancré dans l’espace public, accessible à tous et conçu pour tous ?
En effet, j’avais réalisé avec la Manufacture de Sèvres en 2017 une fresque en grès pour la station de métro parisien Château Rouge. Cette pièce, Célébration, avait été choisie par Élisabeth Borne qui était à la tête de la RATP à l’époque. Le projet d’habillage de la ligne 5 du tramway de Montpellier me tenait particulièrement à cœur. Je l’ai nommé Feuille de vie. Grâce à lui, je suis en communion directe avec les habitants, les usagers. Les gens vont pouvoir vivre avec les œuvres, les toucher, voyager avec elles. Que mon travail puisse avoir cette dimension et cette attention est pour moi un véritable challenge. Le tramway de Montpellier est assez unique, c’est en fait une exposition à ciel ouvert.
Votre projet s’inscrit-il selon vous dans un désir de la ville de réinventer une nature dont elle s’est parfois éloignée ?
C’est le message écologique que j’ai envie de porter. Le projet a une dimension didactique. Appeler la population, la communauté, le public, à vivre avec la nature, à partager quelque chose, à cultiver une idée de générosité. On a l’impression que l’Occident s’éloigne de ces principes. En Afrique, ils sont encore très présents. La solidarité y est vitale. Pour représenter cette idée, j’ai dessiné sur les rames des lianes qui tissent des liens entre l’homme et la faune, la faune et la végétation. Il y a une synergie de communication, d’échanges solidaires grâce à ces lianes. La célébration de la vie, ce sont les liens de solidarité, l’interaction entre ces éléments.
Le tramway va passer devant des parcs mais aussi devant des universités de la ville. Votre habillage de la ligne 5 est-il une façon de conforter les jeunes générations dans leur envie de préserver le monde végétal qu’ils savent extrêmement menacé par les activités humaines ?
Oui, et pas seulement les étudiants, mais toutes les générations. De la maternelle, dès 3 ans, jusqu’à 17 ans, de 17 ans jusqu’à 77 ans. Tout le monde est concerné. Le tramway porte ce discours. C’est une manière pour moi de consolider ou de conforter ces vœux sur l’écologie. Un appel à vivre ensemble, avec les éléments naturels dans un esprit solidaire. Avec ses yeux, l’enfant de 3 ans peut suivre le parcours d’une liane, voir où elle va. C’est un jeu didactique. Il doit éveiller la curiosité en amusant. En tant qu’artiste, il était important pour moi que je puisse célébrer ces relations que j’ai créées au départ dans le dessin. Que les choses et les êtres vivants dialoguent entre eux, correspondent visuellement.
Sculpture en terre, fonte à moule perdu : est-ce inscrire ou ancrer la modernité de votre œuvre dans la tradition historique de la sculpture ? Ou revendiquer des techniques ancestrales pour mieux comprendre le monde de demain ?
Je crois que ces choix sont avant tout économiques et écologiques. La sélection des matériaux et de la technique pour réaliser les sculptures ne renvoie pas à l’histoire, à une tradition ou à une culture. Ils ont été pensés pour être le moins intrusif vis-à-vis de la nature, moins cher, moins polluant. Des matériaux de proximité, des techniques anciennes mais relativement simples, peut-être pas en termes de savoir-faire mais du point de vue de l’économie de moyen. Toujours cette idée de liens, les lianes et les branches qui structurent le dessin, consolident le paysage graphique, racontent une histoire contemporaine.
Vos sculptures montrent des branches et des feuilles qui sortent de la bouche des personnages. La nature a toujours nourri l’homme, est-ce maintenant à lui de renverser cet écosystème et de lui donner un peu en retour ?
Que l’on puisse nourrir la nature ? Un écosystème, c’est un aller et retour entre les éléments. Ils sont représentés dans le dessin. La branche qui sort de la bouche de l’homme doit rapprocher quand, dans nos sociétés contemporaines, nous sommes de moins en moins proches des autres. Les lianes traversent le corps du tramway, réunissent la salamandre, le poisson, l’oiseau, la végétation et bien sûr l’homme.
Votre tampon Habiter la terre, version en bronze d’une œuvre conçue en 2011, peut-il être un manifeste pour que la terre nous habite un peu plus ? Que nous dépassions les discours et les postures consensuelles pour nous engager vraiment ?
Les mots sont choisis par moi avec soin pour qu’une œuvre puisse interpeller les gens. Habiter la terre est un vœu que je voudrais partager. Je suis très ému que la ville ait choisi mon projet et que les Montpelliérains aient accepté ma proposition, mon univers plastique et esthétique. J’espère que tous, quel que soit leur âge, vont s’approprier ces œuvres, réfléchir à leur dimension politique et sociale. Je souhaite que mon message d’amour et de solidarité marque profondément les esprits. Je voudrais grâce à ces œuvres accompagner les enfants qui vont vivre et grandir avec elles.