Si, au Maroc, la plupart des expositions se focalisent sur les artistes locaux, nous assistons depuis quelque temps à une plus grande ouverture en faveur des artistes du continent africain. La Galerie 38 prépare pour septembre 2023 une exposition personnelle de l’artiste malien Abdoulaye Konaté dans son nouvel espace situé à Marrakech. À Casablanca, L’Atelier 21 présentera de son côté à la même période le premier solo show marocain de l’artiste camerounais Hako Hanson. Quant à la Fondation Montresso*, elle accueillera dans le cadre de son programme « In-discipline », lors de l’édition 2024 de la Foire 1-54 de Marrakech, sept artistes sénégalais emmenés par Ousseynou Wade, ancien secrétaire général de la Biennale de Dakar.
De fait, l’arrivée à Marrakech en 2018 de la 1-54 Contemporary African Art Fair a joué un rôle considérable pour la découverte d’artistes du continent auparavant négligés. Deux ans plus tôt, Othman Lazraq avait d’ailleurs ouvert dans la même ville le musée d’Art contemporain africain Al Maaden (MACAAL), dont la collection fait la part belle à ces créateurs, notamment ceux originaires du Congo comme Pierre Bodo ou Chéri Samba. Aux yeux de Fihr Kettani, cofondateur avec Mohammed Chaoui El Faiz de La Galerie 38, cette reconnaissance tardive est salutaire : « C’est quelque chose qui devait se produire à un moment donné, explique-t-il. Cela correspond à une prise de conscience de l’existence de l’art contemporain africain, de son importance et de sa profondeur. L’art en Occident était devenu inaccessible, ultra-conceptuel, déconnecté de l’humanité. Les artistes contemporains africains ont en commun une certaine spontanéité que le monde de l’art recherchait. »
UN PUBLIC ET DES COLLECTIONNEURS AVERTIS
L’intérêt du public, de son côté, ne cesse de croître. Après avoir officié au sein de la Loft Art Gallery, à Casablanca, le fondateur de la galerie en ligne African Arty, Jacques-Antoine Gannat, observe une évolution des regards. « Les mentalités changent, commente-t-il. Je constate que les collectionneurs et les amateurs accordent de plus en plus d’attention aux artistes du continent africain. On le perçoit notamment à travers la connaissance qu’ils ont de la création textile. » Fihr Kettani se souvient quant à lui : « Lorsque le travail d’Abdoulaye Konaté a été présenté pour la première fois [à La Galerie 38], cela a suscité beaucoup de curiosité et d’étonnement. Les gens nous demandaient le prix des tentures ! Il a fallu du temps pour assimiler le principe d’un art textile. Aujourd’hui, les œuvres de Konaté font l’unanimité, car elles sont universelles. » Les collectionneurs ne sont pas en reste, ils ont compris les lois d’un marché de l’art de plus en plus globalisé. « Il a d’abord été difficile d’intégrer Joana Choumali à la galerie, rappelle Jacques-Antoine Gannat, qui conseillait alors l’équipe de la Loft Art Gallery. Puis il y a eu un déclic, lors d’une foire : en deux heures, les œuvres de cette photographe étaient sold out ! » Fihr Kettani le confirme : « Les collectionneurs se montrent de plus en plus avisés. Ils font des recherches et se sont rendu compte de l’intérêt mondial pour cette scène, et notamment que les artistes africains ont une trajectoire occidentale bien plus importante que celle des artistes marocains. »
UN RÉÉQUILIBRAGE SUD-SUD
Toutefois, derrière ces tendances du marché et la vogue de l’art contemporain africain auprès du public se cache aussi une défiance à l’égard des modèles occidentaux ou européens. Directrice artistique de la Fondation Montresso* et de la résidence d’artistes Jardin Rouge à Marrakech, Estelle Guilié observe un rééquilibrage en faveur des échanges Sud-Sud et de pratiques plus collaboratives. « Nous sommes très attentifs aux initiatives qui se développent sur le continent, explique-t-elle. Les modèles diffèrent de ceux du système européen, plus subventionné. Les initiatives privées prennent une part plus importante, par le biais de fondations, de résidences ou de collectifs, tels que KOZ collective ou le projet Malhoun porté par le Fenduq d’Éric Van Hove [lire les News Maroc de The Art Newspaper Édition française de février 2023]. »
Les artistes eux-mêmes bénéficient, notamment à Marrakech, du savoir-faire d’artisans leur permettant d’élargir leurs pratiques. « Par exemple, Dominique Zinkpè a profité de l’accompagnement de notre équipe d’artisans, précise Estelle Guilié. Ses grandes sculptures ont été réalisées dans notre atelier de ferronnerie, où il a pu régler certains problèmes techniques. » Sans nul doute, au Maroc, l’ouverture aux artistes du continent africain ne relève pas d’un effet de mode transitoire, mais témoigne d’une lame de fond plus durable. Une étape nécessaire dans un mouvement de décolonisation de l’art qui ne peut plus être imposé depuis l’extérieur.