Après avoir proposé en 2019, à la galerie londonienne The Mosaic Rooms, l’exposition « New Waves : Mohamed Melehi et les archives de “L’École de Casa” », Morad Montazami et Madeleine de Colnet, à travers leur plateforme de diffusion Zamân Books & Curating, retracent le parcours des artistes marocains regroupés autour de Farid Belkahia, devenu directeur de l’institution casablancaise à partir de 1962. Ancien commissaire chargé des projets « Moyen-Orient et Afrique du Nord» à la Tate Modern, à Londres, Morad Montazami peut s’enorgueillir d’avoir fait entrer quelques pièces maîtresses de Farid Belkahia ou de Mohammed Chabâa dans les prestigieuses collections du musée britannique.
Selon la directrice de la Tate St Ives, Anne Berlow, l’exposition « The Casablanca Art School. Platforms and Patterns for a Postcolonial Avant-Garde 1962-1987 » témoigne de la volonté de l’institution de donner à voir la grande diversité des modernités plastiques au XXe siècle. « Un aspect essentiel de la mission de la Tate St Ives, commente-t-elle ainsi, est de revisiter et de réinterpréter le modernisme, tel qu’il s’est développé à St Ives au XXe siècle, en apportant de nouvelles perspectives sur le travail des artistes de cette époque et en créant des dialogues avec des histoires de l’art plus larges. La Tate s’est engagée dans une démarche transnationale de compréhension, de recherche et d’organisation d’expositions et de présentations dans ses quatre galeries. L’École d’art de Casablanca s’inscrit dans cette trajectoire. »
Connue pour avoir été, dans les années 1950, un lieu de villégiature privilégié pour des peintres tels que Patrick Heron ou Terry Frost, adeptes, comme leurs contemporains marocains, de l’abstraction géométrique, la ville balnéaire de St Ives, dans les Cornouailles, abrite l’un des quatre musées de la Tate(les trois autres étant la Tate Britain, la Tate Modern et la Tate Liverpool) le mieux à même de rendre hommage au groupe de Casablanca. « L’exposition éclaire le langage visuel audacieux qui a émergé à Casablanca dans les années 1960 et 1970, combinant les influences modernistes avec la culture et les traditions locales, remettant en question les hiérarchies entre l’art, l’artisanat, le design et l’architecture, et reliant l’art aux espaces publics et à la vie de tous les jours », ajoute Anne Berlow.
DES ARTISTES SINGULIERS
L’une des réussites de cette exposition qui se décline en sept sections (« Creating collectively », « Making art public », « Afro-berber heritage », « Design for everyday », « Graphic design », «Pan-arab solidarity » et « Open air museum ») est d’articuler les tenants et les aboutissants d’une aventure collective avec les trajectoires individuelles. Si aucun des moments forts n’est oublié – de l’exposition « Présence plastique » en 1969 à Marrakech à la création de la revue Souffles, dont le design fut assuré par Mohamed Melehi et Mohammed Chabâa, puis de l’organisation des deux premières biennales panarabes de Bagdad en 1974 et de Rabat en 1977 à celle du Moussem culturel d’Asilah par Mohamed Melehi et Mohamed Benaïssa en 1978 –, les deux commissaires ont œuvré sans relâche pour mettre en avant la singularité des parcours.
À commencer par celui du peintre Ahmed Cherkaoui, lequel, sans avoir été recruté comme professeur, fut l’un des pionniers du mouvement. « Tous le considéraient comme un mentor, explique Morad Montazami. L’idée d’une abstraction basée sur des formes talismaniques ou cosmogoniques vient en droite ligne de son travail. » En témoignent les photographies rarement montrées de ses dessins à l’encre sur papier prises par Mohamed Melehi ouvrant l’exposition. Une autre figure réhabilitée ici est celle de Mohamed Ataallah, dont les compositions géométriques (Multiple Flamme ou Multiple Marrakech, 1969) n’ont rien à envier à la virtuosité avec laquelle Mohamed Melehi développa en parallèle le motif ondulatoire qui deviendra sa signature. « La trajectoire de Mohamed Ataallah est des plus mystérieuses, commente Morad Montazami. Il a quitté le Maroc en 1972 après une exposition à la galerie Bab Rouah, à Rabat, où il présentait des œuvres modulaires en plastique », qu’il qualifiait alors de « thermoformées » et dont la Tate St Ives montre des exemples convaincants. « Il a ensuite ouvert un centre de recherche esthétique à Caen, poursuit le commissaire. Il était important de le réhabiliter. »
Si les collaborations entre artistes et architectes furent nombreuses, les rencontres avec des artistes étrangers, tels Carla Accardi ou Herbert Bayer, l’une des figures du Bauhaus, sont aussi à l’honneur, ce qui incite à se demander si cette modernité plastique du groupe de Casablanca a vraiment fait école.
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« The Casablanca Art School. Platforms and Patterns for a Postcolonial Avant-Garde1962-1987 », 27 mai 2023-14 janvier 2024, Tate St Ives, Porthmeor Beach, St Ives TR26 1TG, Royaume-Uni.