Le marché de la bande dessinée est régulièrement marqué par des résultats dans le sillage des envolées de l’art moderne et contemporain. En février 2023, chez Artcurial, la couverture de Tintin en Amérique a ainsi été adjugée 2,16 millions d’euros, soit un nouveau record mondial pour un dessin original d’Hergé en noir et blanc. Sans oublier un autre record, toujours pour Hergé, Tintin et Artcurial, en 2021, de 3,2 millions d’euros pour la couverture gouachée du Lotus bleu. Cependant, il y a encore trente ans, ce marché existait peu et ne suscitait guère d’intérêt. « Nous avions affaire à des acheteurs de madeleines de Proust, des passionnés. Désormais, les collectionneurs se diversifient et étoffent l’offre en galerie et en ventes aux enchères. Le marché a atteint une forme de maturité. Tout ne se vend plus à n’importe quel prix », explique le galeriste et expert Alain Huberty.
En tout état de cause, le marché est sorti de son adolescence pour acquérir un réel professionnalisme avec des cotes établies, ce qui légitime davantage le 9e art. « À l’instar de la photographie, non considérée à l’époque, la bande dessinée est aujourd’hui un art à part entière. Cela a été plus long, et nous nous sommes battus pour ça. La BD a depuis intégré les musées parisiens comme Picasso, Maillol et bientôt le Centre Pompidou [musée national d’Art moderne], qui accueillera une rétrospective au printemps [«Bande Dessinée (1964-2024) », du 29 mai au 4 novembre 2024]. Elle est aussi apparue dans les foires, à l’image de la Brafa qui a accepté la première galerie de BD dans un Salon, à travers notre enseigne », appuie le spécialiste.
UNE SPÉCIALITÉ EN PLEIN ESSOR
Les galeristes spécialisés se sont adaptés et sont maintenant perçus comme de véritables marchands. Certes peu nombreuses, les galeries se sont néanmoins multipliées, notamment à Paris avec Daniel Maghen, Huberty & Breyne, Barbier & Mathon, 9e Art ou Achetez de l’Art. Même son de cloche à Bruxelles avec La Galerie de la bande dessinée, Comic Art Factory ou Champaka. De leur côté, les maisons de ventes ont convaincu
les amateurs du potentiel d’investissement de la bande dessinée et ont ouvert des départements lui étant dédiés comme chez Christie’s, Artcurial, FauveParis, Tessier-Sarrou & Associés, Tajan et Millon – au centre récemment d’une polémique entourant la provenance de la couverture de l’album Astérix et Cléopâtre, après une contestation judiciaire de la part de la fille du dessinateur Albert Uderzo, et qui n’a pas trouvé preneur en décembre 2023. « Une affaire anecdotique qui ne doit pas porter un mauvais regard sur le marché en général », note Alain Huberty.
Le marché, lui, se scinde en deux : les éditions originales des albums, puis les encres et planches originales. « Ce sont elles qui structurent le marché et en font une niche de passionnés. Les collectionneurs regardent la beauté de la pièce, sa qualité plastique et son pedigree, sans oublier la scène représentée qui peut en augmenter la valeur si c’est un moment phare du récit », ajoute l’expert. Enfin, pour les auteurs, à côté des valeurs sûres de l’école franco-belge – comme Hergé, Hugo Pratt, André Franquin, Albert Uderzo, Edgar P.Jacobs ou Morris –, on retrouve une nouvelle vague de noms tels que Gotlib, Grzegorz Rosiński, Milo Manara, Jean Giraud (dit Moebius), Enki Bilal, Jacques Tardi, Philippe Druillet ou Joann Sfar. À suivre !