Conçu par Nicole Marchand-Zañartu et Jean Lauxerois, L’Amitié dans tous ses états est un ouvrage multiplement polyphonique qui fait suite à leurs enquêtes précédentes, tant celle consacrée aux étranges objets que sont les représentations diagrammatiques de la pensée (32 grammes de pensée. Essai sur l’imagination graphique, Médiapop Éditions, 2020) que celle sur les portraits de groupes d’artistes (Les Grands Turbulents. Portraits de groupes, 1880-1980, Médiapop Éditions, 2018) : chacune d’elles offrant au lecteur un répertoire aux ramifications nombreuses et autant de pistes de réflexion.
la fin du XIXe siècle et celle du XXe.
INTIMITÉ DES ÉMOTIONS
C’est particulièrement vrai pour ce dernier opus pour lequel quarante auteurs de divers horizons (écrivains, journalistes, éditeurs, traducteurs, universitaires), reliés par l’écriture, se sont penchés sur quarante « duos » de créateurs ayant entretenu une correspondance, entre la fin du XIXe siècle et celle du XXe. Les couvertures d’ouvrages sur lesquelles s’ouvre chaque entrée constituent comme une biblio-, et les textes de quelques pages font la part belle aux extraits, tissant ainsi les voix et prolongeant les échanges.
Nicole Marchand-Zañartu remercie de la sorte « les explorateurs et exploratrices » qui ont « rallumé » les lettres « de façon on ne peut plus libre et variée, à la manière d’un message d’amitié adressé “à ceux qui ont vécu avant nous en ce monde” », adressé aussi au lecteur d’aujourd’hui avec qui ces messages et leurs auteurs pourront alors revivre. Toute correspondance, parce qu’elle suppose la force de l’absence autant que celle des liens, avec leurs interruptions et réactivations, les espoirs qui les entretiennent et les regrets qui les grèvent, accueille le tiers lecteur sur un mode bien particulier et dans des registres dont l’architecture de l’ouvrage rend la grande variété.
Placé sous le signe des Affinités électives (1809) de Johann Wolfgang von Goethe ainsi que de la Rose des tempéraments qu’il a conçue, à la toute fin du XVIIIe siècle, avec Friedrich von Schiller, le livre est organisé autour d’un « cercle de l’amitié » divisé en six pans thématiques qui en déterminent les parties : intimité, fraternité, pensée, création, quête, combat, se subdivisent encore en ces différents « états de l’amitié » dont la mise au jour se poursuit d’une correspondance à l’autre. Pour le lien et contre l’oubli, L’Amitié dans tous ses états redonne une voix éminemment sensible à ces figures, de Pier Paolo Pasolini et Silvana Mauri à Varlam Chalamov et Nadejda Mandelstam, en cette forme qu’est la lettre où se manifeste « le souffle le plus spontané de la vie » (Goethe) et où l’intimité des émotions se transmet par l’urgence à dire et la force de résister.
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Nicole Marchand-Zañartu et Jean Lauxerois (dir.), L’Amitié dans tous ses états. Correspondances, Médiapop Éditions, 2024, 212 pages, 20 euros.