Il n’est pas courant de redécouvrir un tel tableau. Depuis plus d’un siècle, le David contemplant la tête de Goliath des collections du musée des Beaux-Arts d’Orléans avait été relégué au rang de copie. Sous les épaisses couches de vernis et de repeint, pourtant, la facture délicate de son auteur laissait espérer aux conservateurs une possible réévaluation de l’œuvre. Sa récente restauration (commencée en 2016) a permis de confirmer ces intuitions : la version du musée d’Orléans est un original de Guido Reni (1575-1642).
Comment ce chef-d’œuvre a-t-il pu être dédaigné pendant si longtemps ? Face à la célèbre version conservée au musée du Louvre, celle d’Orléans avait été de facto considérée comme une réplique, jamais comme un autre original. Le propos de l’exposition organisée aujourd’hui par Corentin Dury, conservateur chargé des collections anciennes au musée des Beaux-Arts d’Orléans, est précisément de l’expliquer en mettant en lumière le fonctionnement de l’atelier du peintre au XVIIe siècle, dans lequel la notion d’original unique n’existe pas. Dans une scénographie ample et lumineuse, les premières salles abordent les différentes questions propres à l’atelier. Le commissaire de l’exposition, dans une démarche didactique, s’attache à montrer les enjeux de production à cette période, ce que reflète aussi le catalogue.

Vue de l’exposition « Dans l'atelier de Guido Reni » au musée des beaux-arts d'Orléans. © Musée des beaux-arts d'Orléans
Dès le début du parcours, l’exposition brise le mythe de l’artiste travaillant seul dans son atelier. Guido Reni est très en vogue à Bologne à une époque où naît la notion moderne du collectionneur. La demande est forte et l’artiste – l’un des plus prolifiques de son temps – a la mauvaise idée de développer une addiction aux jeux. Le rythme de production doit donc rester soutenu, celui des ventes aussi… Selon Malvasia, le biographe de l’artiste, deux cents personnes travaillent alors dans son atelier. Tous ne collaborent pas directement aux œuvres du maître. Des assistants broient les couleurs pendant que d’autres préparent les toiles. Une partie des peintres sont encore en formation tandis que les maîtres accomplis collaborent directement avec Guido Reni. L’atelier, explique Corentin Dury, « devient une véritable entreprise, à l’instar de ces grandes maisons de couture dont le fondateur n’est plus responsable de toutes les pièces et où les collaborateurs et les petites mains, développent souvent une chaîne de prêt-à-porter plus standardisée ».

Guido Reni, Le suicide de Lucrèce, huile sur toile, Rome, Musei Capitolini-Pinacoteca. Photo : Amandine Rabier
Pour répondre aux sujets les plus demandés, des toiles sont esquissées à l’avance et attendent d’être choisies par un acheteur potentiel pour être achevées. Une esquisse de Lucrèce illustre ce procédé où le tableau a été préparé, la couleur partiellement montée, en attendant de recevoir les dernières touches du maître. Les enjeux commerciaux déterminent l’organisation de l’atelier. La confrontation de trois Martyre de sainte Apolline montre un système de duplication dans lequel les collaborateurs s’adaptent à la clientèle, le degré de raffinement dans l’exécution variant selon la destination.
Outre ses qualités d’homme d’affaires, Guido Reni brille par ses talents d’invention. Il n’est pas rare que ses contemporains en panne d’inspiration se réfèrent à ses dessins, comme en témoigne une Annonciation de l’un de ses disciples, Giovanni Maria Tamburini. L’exposition montre également de superbes gravures d’invention dans lesquelles l’habileté de Guido Reni se confond avec celle du Parmigianino (Le Parmesan). Ses portraits religieux, inspirés des personnages de ses grandes compositions, comme le portrait du Christ issu de la Crucifixion des Capucins, deviennent des icônes de la contreréforme. Guido Reni développe une écriture reconnaissable, plébiscitée par les collectionneurs et reprise à l’envi par ses collaborateurs. Ainsi du Saint François du Pallione, de la figure de Marie-Madeleine, ou encore de celle du Saint Diego Alcalà.
L’exposition s’achève là où les recherches avaient commencé : avec David et Goliath. Dans une dernière salle à la lumière plus tamisée, Corentin Dury identifie les cinq types de David et Goliath dans lesquels s’insère désormais la version du musée d’Orléans. Chaque typologie porte le nom de son premier commanditaire. Ici, Guido Reni change une fois encore la composition : selon les versions, la tête de Goliath est orientée différemment tandis que la posture de David et ses attributs évoluent. Dans la version d’Orléans, David, un rien nonchalant, porte un chapeau empanaché et tient par les cheveux la tête sanguinolente de Goliath posée sur un socle de pierre. S’il faut déplorer l’absence de la version conservée au Louvre, celle de Dresde vient souligner l’importance de la redécouverte d’Orléans. Le visage crispé de Goliath, ses yeux clos, sa bouche entrouverte, les lèvres encore colorées et la carnation rosée, donnent le sentiment que la décollation vient tout juste d’avoir lieu. Saisissant !
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« Dans l’atelier de Guido Reni », jusqu’au 30 mars 2025, Musée des Beaux-Arts d’Orléans, Place Sainte-Croix, 45000 Orléans