Les organisateurs de la Biennale d’architecture de Venise 2025, titrée « Intelligens. Natural. Artificial. Collective », qui se tiendra dans les Giardini et à l’Arsenale du 10 mai au 23 novembre, ont annoncé le 9 avril les noms des lauréats des Lions d’or pour cette 19e édition. La philosophe américaine Donna Haraway et l’architecte et designer italien Italo Rota, décédé en 2024, ont reçu respectivement le Lion d’or pour l’ensemble de son œuvre et le Lion d’or spécial pour l’ensemble de son œuvre in Memoriam. Ces attributions ont été approuvées par le conseil d’administration de La Biennale, présidé par Pietrangelo Buttafuoco, sur recommandation de Carlo Ratti, commissaire de la 19e Exposition internationale d’architecture.
La cérémonie de remise des prix et l’inauguration de la Biennale Architettura 2025 auront lieu le 10 mai à la Ca' Giustinian, le siège de La Biennale di Venezia. L’exposition ouvrira ses portes au public le même jour à 11 heures.
Donna Haraway, née à Denver (Colorado), le 6 septembre 1944, est professeure émérite au département d’histoire de la conscience à l’Université de Californie à Santa Cruz (UCSC). Elle a obtenu son doctorat en biologie à Yale en 1972 et écrit et intervient dans le domaine des études scientifiques et technologiques, dont elle explore les implications philosophiques, politiques et culturelles, avec une approche interdisciplinaire. Parmi ses livres les plus connus, figurent Staying with the Trouble : Making Kin in the Chthulucene (Duke University Press, 2016) ; When Species Meet (University of Minnesota Press, 2008) ; The Companion Species Manifesto : Dogs, People, and Significant Otherness (Prickly Paradigm Press, 2003) ; Simians, Cyborgs, and Women (Routledge, 1991) ; Primate Visions. Gender, Race, and Nature in the World of Modern Science (Routledge, 1989).
Deux productions cinématographiques ont été consacrées à l’œuvre de la philosophe : Donna Haraway : Story Telling for Earthly Survival (2016), un film documentaire réalisé par Fabrizio Terranova, et Camille & Ulysse (2021), réalisé par Diana Toucedo, avec Donna Haraway et Vinciane Despret. Avec Adele Clarke, elle a codirigé Making Kin Not Population (Prickly Paradigm Press, 2018), qui aborde les questions du nombre d’humains, de la justice reproductive et environnementale féministe et antiraciste, et de l’épanouissement multi-espèces.
« Donna Haraway est l’une des voix les plus influentes de la pensée contemporaine, à la croisée des sciences sociales, de l’anthropologie, de la critique féministe et de la philosophie de la technologie, a déclaré Carlo Ratti à propos du choix de décerner le Lion d’or pour l’ensemble de sa carrière à la philosophe. Au cours des quatre dernières décennies, elle a exploré, de manière pluridisciplinaire et avec une capacité constante d’invention linguistique, des questions telles que l’impact de l’évolution technologique sur notre nature biologique et la manière dont le contexte environnemental du Chthulucène redéfinit les frontières entre l’humain et le non-humain. Haraway a inventé cette définition – d’après l’écrivain américain H.P. Lovecraft – comme alternative au terme "Anthropocène" (normalement utilisé pour définir l’impact humain sur la Terre) pour souligner l’urgence de la coexistence et de la symbiose avec d’autres espèces. Quelle que soit la manière dont on aborde la convergence de multiples formes d’intelligence pour façonner notre avenir, la pensée de Donna Haraway laissera sa marque. Son œuvre et sa philosophie, radicalement critiques mais simultanément optimistes et imaginatives, se distinguent par leur engagement à créer des mondes alternatifs : construire des visions positives dans lesquelles les difficultés du présent peuvent être surmontées ou atténuées par l’élaboration de nouveaux mythes et la culture d’une nouvelle parenté. Ses contributions à la façon dont nous comprenons la science, la technologie, la race, le genre, la géographie et l’histoire environnementale de l’humanité ont laissé des traces indélébiles sur l’approche de chacun de ces domaines. […] Alors que les concepteurs de formes et d’espaces sont aux prises avec un présent qui se transforme rapidement et dans lequel la nature, la technologie et la société présentent toutes des symptômes de divergence par rapport au monde tel que nous le connaissons, la théorie de Haraway nous donne des moyens d’action, ses observations nous guident. C’est avec gratitude que nous reconnaissons la littérature visionnaire qu’elle offre à l’avenir et que nous applaudissons son inspiration pour l’architecture, exprimée dans cette exposition et bien au-delà. »
Le travail d’architecte et de designer d’Italo Rota (né à Milan, le 2 octobre 1953, décédé le 6 avril 2024) a, quant à lui, été centré pendant plus de trente ans sur une recherche interdisciplinaire constante, de l’art contemporain à la robotique, afin de développer des projets innovants dans lesquels l’humanisme et la durabilité sont devenus des éléments centraux. Diplômé du Politecnico de Milan, il a travaillé pendant de nombreuses années avec Vittorio Gregotti et Franco Albini. Au début des années 1980, il remporte, avec Gae Aulenti et Piero Castiglioni, le concours pour la conception des espaces intérieurs du musée d’Orsay. Installé dès lors à Paris, il conçoit avec Gae Aulenti le projet de rénovation du musée national d’art moderne au Centre Pompidou. Il ouvre sa propre agence dans la capitale française et conçoit les salles des collections permanentes de Peinture française autour de la Cour carrée du Louvre, l’éclairage de la cathédrale Notre-Dame et des berges de la Seine, ou encore la rénovation du centre-ville de Nantes.
Depuis le début des années 1990, retourné définitivement à Milan, il a développé des projets de design et des créations architecturales en Italie et dans le monde, notamment la rénovation des musées civiques de Reggio Emilia, la nouvelle usine de robots Elatech à Brembilla, le grand Teatro dei Bambini à Maciachini, à Milan, le nouveau pavillon du laboratoire Noosphere à la Triennale de Milan, les pavillons de l’EXPO Milano 2015 pour le Koweït, le vin italien et le pavillon des arts et de la gastronomie.
Avec le projet du pavillon italien à l’Expo Dubaï 2020, Rota entame une collaboration avec le Studio Carlo Ratti, qui se poursuivra avec de nombreux projets jusqu’à sa mort. Parmi les œuvres qui symbolisent sa poétique, figurent le Museo del Novecento sur la Piazza Duomo à Milan, le Centre for Post-Graduate Studies de l’Université Columbia à New York et le temple hindou de Dolvi, en Inde.
Il est à l’origine d’innombrables expositions dans de grands musées, ainsi que de publications, d’installations et de pavillons, dont le pavillon central thématique de l’Expo Zaragoza 2008. Son travail a été présenté au sein du pavillon italien dans de nombreuses éditions de l’Exposition internationale d’architecture de la Biennale de Venise : « Innesti/Grafting », sous le commissariat de Cino Zucchi, avec Studio Italo Rota & Partners (Biennale Architettura 2014, sous la direction de Rem Koolhaas) ; « Ailati. Reflections from the Future », sous le commissariat de Luca Molinari, avec Studio Italo Rota & Partners (Biennale Architettura 2010, sous la direction de Kazuyo Sejima) ; « L’Italia cerca casa », sous le commissariat de Francesco Garofalo (Biennale Architettura 2008, sous la direction d’Aaron Betsky). Il a été directeur scientifique de la NABA (Nuova Accademia di Belle Arti) à Milan, professeur à l’Académie des beaux-arts de Shanghai Wusong International Art City et conseiller à l’Université Tsinghua de Pékin. Italo Rota a reçu de nombreuses distinctions, notamment la médaille d’or de l’architecture italienne pour les espaces publics, la médaille d’or de l’architecture italienne pour la culture et les loisirs, le Landmark Conservancy Prize à New York et le Grand Prix de l’Urbanisme à Paris.
« Italo Rota a été un précurseur, lui a rendu hommage Carlo Ratti. Sa vision était celle d’un monde dans lequel la pertinence des entités vivantes et de la biologie en général, la nature dans sa définition la plus large possible, et enfin la science et la technologie appliquée étaient réunies. Tout au long de sa vie, il a eu l’extraordinaire capacité de traverser la seconde moitié du XXe siècle et le premier quart du nouveau siècle en survolant les principaux styles et cultures du design, s’imposant comme l’une des figures les plus originales de l’architecture italienne et européenne. Élevé sous l’aile de maîtres tels que Franco Albini, Vittorio Gregotti et Gae Aulenti, il a cultivé un éclectisme unique et une rare capacité à combiner vision poétique et extrême lucidité analytique. Homme d’une culture sans limites, collectionneur et chercheur passionné d’objets Wunderkammer et de dispositifs technologiques, enseignant généreux, il a contribué à la création de certains des lieux culturels les plus influents d’Europe au cours des dernières décennies. […] Son héritage culturel est bien exprimé par le titre de sa dernière monographie, Solo diventare natura ci salverà (Seul le fait de devenir la nature nous sauvera, Milan : Libri Scheiwiller, 2023). »
Et le commissaire de la 19e Exposition internationale d’architecture de poursuivre : « L’aventure de la Biennale Architettura 2025 a commencé avec Italo Rota à la fin de l’année 2023. Elle a été tragiquement interrompue par sa disparition il y a un an, le 6 avril 2024. C’est pourquoi je suis particulièrement heureux que le conseil d’administration de La Biennale di Venezia ait accepté ma proposition de décerner à Italo le grand honneur du Lion d’or spécial pour sa carrière in Memoriam. […] Je suis également heureux de pouvoir présenter à l’Arsenale le travail de Margherita Palli, la compagne de vie et de travail d’Italo, dont la contribution permettra de poursuivre idéalement notre recherche initiale ».
Le Lion d’or spécial in Memoriam décerné à Italo Rota pour l’ensemble de sa carrière sera remis à Margherita Palli, conceptrice de décors et de costumes, qui participe à la Biennale Architettura 2025 avec le projet « Material Bank : Matters Make Sense », avec Stefano Capolongo et Ingrid Maria Paoletti (Département d’architecture, d’environnement bâti et d’ingénierie de la construction, Politecnico di Milano), ainsi que Konstantin Novosëlov (Université nationale de Singapour).