Avec sa chronologie d’anticipation au long cours, de 1894 à 7231, TheEverted Capital, la nouvelle saison réalisée par Fabien Giraud et Raphaël Siboni, dont le prologue et les deux épisodes inauguraux sont pour la première fois réunis à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne/Rhône-Alpes (IAC), joue la carte de l’uchronie, même si le duo parlerait probablement plus volontiers de « narrations spéculatives ». Quoi qu’il en soit, il s’agit de prendre part, en tant qu’artistes, à l’écriture de nouveaux imaginaires, de proposer des récits alternatifs au capitalisme et au futur de la valeur, à partir d’« objets » (animaux, végétaux ou minéraux utilisés au cours des siècles comme monnaie), d’événements (une communauté fondée par William Lane, le père du communisme australien) ou de représentations historiques (le discours de Richard Nixon, en 1971, sur la fin des accords de Bretton Woods). Le tout en passant par une réévaluation des relations de l’homme à son humanité – sa finitude – et à son biotope (avec, ou plutôt, sans).
Tentons d’en faire un résumé : en 7231, la mort touche à nouveau une communauté de communistes immortels. Ils vivent autour du Soleil, sur une sphère de Dyson, dont la mise en fonction a été annoncée en 1971 par Richard Nixon. La construction de cette mégastructure aura nécessité le démantèlement complet de la Terre. Au cours de son allocution, débute la prise d’otages d’une poignée d’immortels par un groupe de mortels, ce qui va durer 3000 ans et aboutir à la naissance d’un enfant qui « est plus que la vie ». Lequel, de la vie, de la mort ou du « plus que la vie », ferait la meilleure valeur d’échange ?
Répétitions
Aussi dystopiques que métaphysiques, ces épisodes sont le résultat de performances filmées. Une scène d’une heure est ainsi répétée et travaillée dans ses différences, à vingt-quatre reprises. À l’IAC, cette structure narrative est appliquée au reste de l’espace, la réminiscence et la mise en abîme d’éléments extraits des films jouant sur une logique d’épuisement. Dans cette ambiance crépusculaire, les gisants sont vivants, le sel et la colophane, qui servent traditionnellement à conserver les corps, se mêlent à la moisissure, des caméras de télévision filment des masques qu’un algorithme mute en bébé crépitant, un tronc d’arbre se transforme en bureau présidentiel, les murs suintent, et les rouages d’une mystérieuse dynamique transpercent l’espace…
Nouvel enjeu dans la pratique de Fabien Giraud et Raphaël Siboni, l’installation traduit l’ambition de proposer une expérience totale, bien que prenant le risque d’être potentiellement décevante dans sa répétition. Elle envisage avant tout l’espace d’exposition comme un corps-machine, un musée-enfant – l’IAC étant une ancienne école –, à moins qu’il ne s’agisse d’une matrice, d’un vaisseau-mère dont la mise en branle des mécanismes annoncerait une évacuation imminente ou, déjà, une vie orbitale.
«Fabien Giraud & Raphaël Siboni. Infantia (1894-7231)», 21 février - 3 mai 2020, Institut d’art contemporain de Villeurbanne/Rhône-Alpes, 11, rue Docteur-Dolard, 69100 Villeurbanne.