De plus en plus d’ouvrages consacrés à l’art contemporain osent le « je ». Ce phénomène est d’autant plus remarquable au sein d’une famille de chercheurs qui a entrepris un travail aussi nécessaire qu’ambitieux autour des artistes femmes et de leur réévaluation. L’occasion d’entreprendre une critique sévère de l’unicité de l’histoire produite par nos sociétés occidentales, patriarcales et capitalistes. Avec des réussites diverses, malheureusement.
« Ré-vision »
Le livre consacré par la philosophe et critique d’art Géraldine Gourbe à Judy Chicago (née en 1939) est à cet égard exemplaire, tant dans sa forme, proche de l’enquête et qui refuse les poncifs du catalogue ou de l’essai traditionnel, que dans son intention. Elle cherche en effet à faire prendre conscience au lecteur d’un « manque à penser » affectant l’œuvre de l’artiste américaine, une des plus importantes de la fin du XXe siècle. Alors qu’elle est déjà l’auteure d’une thèse de doctorat sur le Feminist Art Program (FAP), fondé par Judy Chicago, Géraldine Gourbe découvre qu’entre 1965 et 1970, cette dernière a participé de façon active au courant minimaliste. « Une révolution interne », témoigne-t-elle.
Ce choc l’encourage à organiser en 2018 l’exposition « Los Angeles, les années cool/Judy Chicago », en collaboration avec la Villa Arson à Nice. Son ambition ? Interroger cet effacement de l’histoire, mais aussi proposer une compréhension nouvelle du minimalisme. Autrement dit, procéder à ce qu’elle nomme une « ré-vision ». Ce projet prend une ampleur inattendue lorsque Géraldine Gourbe prend conscience de la place des performances environnementales de Chicago (1967- 1970) dans l’histoire du land art et du mouvement Light and Space. Il en va de même pour ses œuvres architecturales (1968-1979), elles aussi passées largement sous silence au profit de pièces jugées plus emblématiques de son approche féministe, telles que l’installation The Dinner Party (1974-1979).
À l’issue de cette première recherche que constitue l’exposition à la Villa Arson, la commissaire imagine un livre qui en serait le prolongement sans en être l’exact reflet. Pour les trois textes de l’ouvrage, elle parvient à inventer une écriture affranchie des normes académiques – voilà qui repose –, souvent proche du récit et qui se fait pourtant très rigoureuse dans l’analyse historiographique de la scène californienne et des milieux féministes des années 1960 et 1970.
On appréciera aussi dans ces pages les nombreux documents rares, issus des archives de Judy Chicago, dont un texte inédit, intitulé L’Autobiographique de mon enfance et traduit pour la première fois en français.