Trois ans après le 500e anniversaire de la mort de Léonard de Vinci, un tableau du maître italien revient dans sa résidence ligérienne : le château du Clos Lucé, à Amboise.
Ainsi, le Saint Jérôme au désert du Vatican est présenté tout l’été dans un petit bâtiment prévu à cet effet, lové au creux du parc. On imaginait que la caisse climatique, conçue spécialement pour faire voyager l’ermite vers l’exposition du Louvre en 2019, reflétait la nécessité de protéger cette œuvre singulière du moindre mouvement, plutôt que de favoriser un tel déplacement, qui ne semble pas motivé par un impératif scientifique mais plutôt pour contenter les visiteurs.
L’effigie du saint est ici saisissante; l’expression déshydratée du pénitent reclus dans le désert est encore exacerbée par l’inachèvement des carnations laissées en réserve. La force de la foi ainsi manifestée trouve un écho dans le rugissement du lion étendu à ses pieds. Léonard de Vinci atteint là une pureté aride, une tension dramatique plutôt singulières dans son œuvre, habituellement d’une douceur et d’une suavité souveraines. On ne peut qu’être surpris par la violence du coup que Jérôme s’apprête à asséner sur son torse décharné. À faire pâlir Nietzsche, l’anatomie désespérée du saint homme, creusée par un jeu d’ombres couleur d’encre, n’a pas manqué de fasciner les artistes. Lorsque le tableau réapparaît dans les premières années du XIXe siècle, il figure d’ailleurs dans la collection d’Angelica Kauffmann, femme peintre germanique adulée dans l’Europe du Grand Tour. Avant d’être acheté par le pape Pie IX – impatient d’en faire le fleuron de sa nouvelle Pinacothèque –,il se retrouve même chez l’un des collectionneurs les plus brillants de son siècle, le cardinal Fesch.
LÉONARD DE VINCI ATTEINT LÀ UNE PURETÉ ARIDE, UNE TENSION DRAMATIQUE PLUTÔT SINGULIÈRES DANS SON ŒUVRE, HABITUELLEMENT D’UNE DOUCEUR ET D’UNE SUAVITÉ SOUVERAINES
Il est tentant mais difficile de croire à la fable du tableau remployé, que l’oncle de Napoléon aurait retrouvé (lui-même !) démembré entre l’échoppe d’un brocanteur et l’atelier d’un cordonnier. C’est bien dommage que l’exposition ne permette pas d’y revenir, et n’explore pas davantage le parcours mystérieux et pour le moins chaotique de ce grand chef-d’œuvre. Plus solide, une hypothèse tout aussi séduisante défendue par l’équipe vaticane voudrait que le Saint Jérôme soit l’une des œuvres apportées en France par Léonard lui-même, invité par François Ier. S’il n’avait pas été inachevé, peut-être aurait-il été acquis par le roi comme la Joconde ou Saint Jean-Baptiste, et compterait désormais parmi les trésors de la Grande Galerie du Louvre !
Le présenter au Clos Lucé devrait permettre à tous les visiteurs frustrés par la dernière rétrospective parisienne de contempler le tableau dans l’intimité du refuge quasi légendaire où le maître italien est venu finir ses jours. Même s’il est en partie desservi par la hauteur de l’accrochage et la profondeur d’une mise à distance.
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« Le Saint Jérôme de Léonard de Vinci, un chef-d’œuvre inachevé », jusqu’au 20 septembre 2022, Château du Clos Lucé – Parc Leonardo da Vinci, 2 rue du Clos Lucé, 37400 Amboise.