Denise René revient. Dix ans après sa disparition, en 2012, quasi centenaire, le souvenir de cette galeriste parisienne emblématique est ravivé à Drouot. Lundi 5 décembre, la maison de ventes Digard Auction y organise à 14 h 30 la dispersion de près de 90 lots sous l’intitulé « Succession Denise René ». Les œuvres « proviennent en grande partie de ce qui était dans son appartement et aussi de pièces qui étaient sa propriété », confie la commissaire-priseur Marielle Digard. « Cette vente permet de comprendre comment elle est passée de l’abstraction à l’art cinétique », ajoute-t-elle, et de « mesurer le rôle joué par celle qui fut à mes yeux l’égale d’une Ileana Sonnabend ou d’une Iris Clert » . Si c’est avec Vasarely que cette ancienne « modiste » issue d’une famille du textile ouvre à l’été 1944 sa galerie, d’abord rue La Boétie, l’évolution s’est faite progressivement, mais avec un sens de l’audace certain.
En 2001, de son vivant, le Centre Pompidou, plutôt frileux à consacrer des marchands, lui avait même rendu hommage à travers l’exposition « Denise René, l’intrépide », retraçant son parcours et celui de sa galerie, embrassant l’histoire de l’abstraction et de l’art cinétique de la seconde moitié du XXe siècle. Dès 1957, quand les musées français sont encore hésitants, elle organise un accrochage dévolu à Mondrian. Idem pour Josef Albers… Si elle défend à ses débuts Max Ernst, Picabia, Herbin ou Magnelli, « son engagement prendra toute sa valeur pionnière avec les artistes de sa génération », soulignait Alfred Pacquement, alors directeur du musée national d’art moderne, dans le catalogue du Centre Pompidou. Ajoutant : « la première, elle défendra ces artistes résolument engagés dans la modernité et dont l’art rompt délibérément avec le passé ». Tels Dewasne, Jacobsen, Mortensen, Agam, Soto et bien d’autres, regardant jusqu’en Scandinavie…
Des artistes qu'on retrouve dans cette vente. Jean Dewasne est ainsi représenté par une belle huile sur panneau à la palette verte de 1952 (est. 12 000 à 15 000 euros) ou par une laque de 1954 (est. 7 000 à 8 000 euros). Youla Chapoval, Serge Poliakoff, Jean Deyrolle, entre autres, l’accompagnent. Surtout, Jean Tinguely est à l’honneur avec plusieurs pièces historiques dont Volume virtuel no. 1, de 1955, relief mécanique présenté dans l’exposition de référence « Le Mouvement » à la galerie Denise René la même année. La pièce est estimée de 60 000 à 80 000 euros.
De 1956 et 1959 datent deux reliefs composés d’éléments découpés et motorisés, l’un noir, le second blanc, deux œuvres importantes évaluées chacune de 130 000 à 180 000 euros. Par ailleurs, une autre œuvre majeure, une sculpture de 416 tiges de métal par Jesus Rafael Soto, Progression elliptique rose et blanche, de 1974, attend preneur à 150 000-200 000 euros. Nombre de lots plus modestes présentent des estimations plus abordables, à quelques milliers d’euros parfois.
Si elle devrait faire le bonheur des collectionneurs par sa provenance et le poids historique de certaines pièces, la vente ne fait toutefois pas l’unanimité. « Ni la galerie Denise René, ni moi-même qui en assure la direction depuis la disparition de ma tante, Denise René, il y a dix ans, ne sommes en aucune façon à l’origine ou partie prenante de la vente intitulée « succession Denise René » organisée prochainement à l’Hôtel Drouot », précise Denis Kilian, le directeur de l’enseigne, sur le site Internet de la galerie. « Faute de pouvoir nous y opposer, nous déplorons amèrement cette mise en vente qui contrevient à la volonté clairement exprimée par Denise René de transmettre aux collections françaises un ensemble non dispersé représentatif de son rôle dans l’art contemporain depuis 1944, et est contraire à l’image qu’elle a construite à l’international, et au travail de toute une vie en faveur de l’art abstrait géométrique et de l’art cinétique », déplore-t-il, toujours sur la page d’accueil du site.
D’après nos informations, la succession de Denise René, comme c’est souvent le cas lorsque figurent de nombreux héritiers, s’avère toujours aussi compliquée. Un juge a autorisé l’administrateur judiciaire à mettre en vente cette sélection d’œuvres pour payer les droits… Rien d’illégal. Toutefois, avant sa mort, Denise René avait émis un projet de donation à la Ville de Strasbourg, qui aurait compris un ensemble important d’œuvres ainsi qu’un vaste groupe d’archives couvrant la première existence de la galerie – qui a changé de raison sociale après la crise pétrolière. L’idée ? Créer un pôle sur l’art abstrait et cinétique au centre de l’Aubette, décoré par Théo van Doesburg, Hans Jean Arp et Sophie Taeuber-Arp en 1928. Une aubaine pour la ville alsacienne... La vente de ce lundi ampute assurément ce projet d’une partie substantielle des œuvres. Le chemin vers une donation et un tel espace à Strasbourg, des années après en avoir formulé le vœu, reste bien incertain…