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Critique

Les méandres toscans de Pablo Reinoso

Le sculpteur et designer a créé des pièces in situ et expose plusieurs séries d’œuvres à La Tinaia du Palazzo Al Bosco, propriété des collectionneurs genevois Caroline et Éric Freymond, au cœur des vignobles italiens du Chianti.

Stéphane Renault
2 novembre 2023
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Portrait de Pablo Reinoso avec l’œuvre Curly Bench (2019). Photo : Rodrigo Reinoso

Portrait de Pablo Reinoso avec l’œuvre Curly Bench (2019). Photo : Rodrigo Reinoso

De Florence, la route qui conduit au Palazzo Al Bosco sinue à travers vignes et oliviers dans une campagne prospère, évoquant à chaque détour les paysages de la Renaissance entrevus dans les chefs-d’œuvre de la Galerie des Offices. Dans la villa sur la colline en face, Machiavel a, dit-on, écrit Le Prince. C’est dans ce cadre idyllique devenu leur seconde villégiature que le couple de mécènes et collectionneurs genevois Caroline et Éric Freymond, déjà à l’origine de l’Espace Muraille dans la cité de Calvin, accueille les créations de Pablo Reinoso. Lors de notre visite, le sculpteur et designer franco-argentin recevait la visite amicale d’un autre illustre compatriote installé à Paris, Julio Le Parc, désormais représenté par la Galleria Continua, sise non loin, à San Gimignano.

Pablo Reinoso, I Trespoli Toscani (2021). Photo : Rodrigo Reinoso

Invité à concevoir plusieurs pièces in situ, dont un escalier dans la loggia et une série de sièges tout aussi spectaculaires, I Trespoli Toscani, dont les hauts dossiers oscillent au gré du vent sur un belvédère de verdure, l’expert ès arabesques a installé près de la piscine et dans les jardins le mobilier-sculpture qui a fait sa réputation, dont Ma Bulle et Le Banc du Château, déclinaison de son fameux « banc spaghetti », au design plus al dente que « style nouille ».

Pablo Reinoso, La Loggia - Al Bosco (2023). Photo : Rodrigo Reinoso

Dans La Tinaia, l’ancien pressoir de la propriété viticole converti en espace d’exposition dédié à l’art contemporain – lequel a précédemment accueilli des œuvres d’Ólafur Elíasson –, Pablo Reinoso montre plusieurs séries de pièces en bois, où la virtuosité le dispute à l’humour. Par exemple, ces cadres sculptés dont les bords dégoulinent et s’enchevêtrent. « Mes cadres ne sont pas des cadres, ils sont des hors-sujets, ou hors-propos. Des hors-cadres, tout en gardant l’aspect de cadres. Des sorties de route », poétise-t-il.

Pablo Reinoso, Dédale (2020) et Vertical Loops (2022-2023). Vue de l’exposition « Méandres toscans », La Tinaia - Al Bosco. Photo : Rodrigo Reinoso

À l’étage, son hommage à l’iconique chaise Thonet n°14 en bois courbé tient autant d’un surréalisme à la Meret Oppenheim que des robes importables en métal tranchant du satirique Qui êtes-vous, Polly Maggoo ? (1966) de William Klein. Pablo Reinoso n’a d’ailleurs pas résisté à l’idée d’organiser un défilé de mode avec des mannequins portant ses étranges artefacts – une série judicieusement baptisée Prêt-à-Thonet.

« C’est la première chaise industrielle, explique l’artiste. Avant son invention en 1859 par la famille Thonet, le design et la production en série n’existaient pas. C’est un peu le Ikea du XIXe siècle ! Je me suis approprié ces chaises en bois courbé à la vapeur dans une série intitulée Thoneteando (2006). Thonet a développé un catalogue d’objets à partir de cette technique, avec plus de 1 500 modèles, c’est fascinant ! J’ai voulu faire vivre à la chaise Thonet une aventure comparable, mais dans le domaine de l’art ; l’emmener vers d’autres territoires, pour qu’elle puisse s’exprimer autrement. L’idée est de pouvoir porter ces objets. Par la suite, j’ai créé la série Prêt-à-manger : des chaises sur lesquelles j’ai appliqué de la pâte à gressins, que l’on peut passer au four avant d’être servies à table ! »

Pablo Reinoso, série Prêt-à-Thonet (2006-2018) et Thoneteando (2006), film avec Blanca Li. Vue de l’exposition « Méandres toscans », La Tinaia - Al Bosco. Photo : Rodrigo Reinoso

L’exposition de ces créations plus improbables les unes que les autres, à la frontière de l’art et du design, s’accompagne de la projection de courts films non moins réjouissants, réalisés avec la complicité de Blanca Li. Dans ses tentatives successives de trouver une fonction pratique à ces sièges-sculptures intrinsèquement impropres à toute assise, la danseuse et chorégraphe enchaîne les postures cocasses. Un sens du burlesque à la Buster Keaton que l’on retrouve lorsqu’elle se met en scène pendant le démontage de l’installation Le Cercle de Pablo Reinoso, présentée dans le bassin du jardin des Tuileries, à Paris, dans le cadre du Hors les murs de la FIAC en 2018.

Si l’on connaît déjà l’univers baroque du sympathique trublion des formes au bel accent portègne, vu également au château de Chambord, il est difficile de bouder son plaisir face à ces « Méandres toscans ». L’exposition rétrospective de son travail et ces nouvelles commandes jouent une partition contemporaine inattendue – et réussie – dans cette dolce vita d’une Italie éternelle.

« Pablo Reinoso. Méandres toscans », du 24 septembre 2023 au 31 juillet 2024, La Tinaia - Al Bosco, Via Faltignano 38, 50026 San Casciano in Val di Pesa, Florence, Italie. Visites uniquement sur rendez-vous, un samedi par mois, de 11 h à 18 h.

ExpositionsPalazzo Al BoscoPablo ReinosoItalieCollectionneursSculptureArt Contemporain
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