Janvier 1660. Pressé de mettre fin aux frondes provençales, Louis XIV établit ses quartiers pendant deux mois à l’hôtel de Châteaurenard, dans la rue qui mène à la cathédrale d’Aix-en-Provence, où la cage d’escalier est magnifiquement décorée par Jean Daret (1614-1668). Ébloui par « tant de beauté », le jeune roi ordonne à « ses garde-corps d’avoir soin qu’on ne gâtât rien ». Ainsi, « tout le beau monde savant qui l’accompagnait donna de l’encens au peintre », selon Pierre-Joseph de Haitze, le premier biographe de Jean Daret, en 1677. La visite de la cage d’escalier de l’hôtel de Châteaurenard, dont la restauration vient tant bien que mal d’être achevée, est un préambule magistral à l’exposition au musée Granet.
Un parcours encore hypothétique
Trois ans après la découverte de son chef-d’œuvre, Portrait de chasseur assis en compagnie de ses chiens (1661), par l’expert René Millet, puis sa préemption par le musée de la Chasse et de la Nature, à Paris, Jean Daret est célébré par une rétrospective de grande ampleur, fruit de trois décennies de travail de sa spécialiste, Jane MacAvock. Depuis 1978, date de l’exposition du musée des Beaux-Arts de Marseille dédiée à la peinture en Provence au XVIIe siècle, ce Flamand intriguait nombre d’historiens d’art. La connaissance de son parcours demeure ponctuée par un certain nombre d’interrogations : aucune œuvre de son premier maître bruxellois, Antoon van Opstal, n’est aujourd’hui connue, et l’éventuel séjour en Italie de Jean Daret reste une hypothèse non documentée, si séduisante soit-elle. Les premières peintures réalisées en Provence, à partir de son installation en 1636, rendent compte en revanche de l’influence profonde sur son œuvre de Laurent de La Hyre, Philippe de Champaigne, mais aussi Jacques Blanchard. La plus belle cimaise de l’exposition, l’une des premières, réunit la charmante Joueuse de luth (1638) de la Yale University Art Gallery (New Haven, États- Unis) et le Joueur de guitare (1636) du musée Granet, deux magnifiques clins d’œil aux caravagesques français – et pas nécessairement aux œuvres romaines de Caravage et de ses émules.
Le large corpus de Jean Daret conservé dans les églises provençales, qui occupe le cœur du parcours et dont la présentation se déploie sur de vastes espaces, est en revanche très inégal et parfois décevant. Le tableau de l’église de Saint-Julien-le-Montagnier (Var), dont la restauration a fait l’objet d’un documentaire diffusé dans l’une des salles du musée Granet, a ainsi fort peu de mérite. La confrontation de Jean Daret avec ses confrères provençaux Nicolas Mignard et Reynaud Levieux lui est rarement favorable – ce dernier n’avait d’ailleurs jamais autant brillé ! Du Bienheureux Salvador de Horta guérissant les malades (1617, église Sainte- Madeleine, Aix-en-Provence), où les innombrables personnages ne semblent pas assister à la même scène, à L’Annonciation (église Notre-Dame-de-l’Assomption, Saint-Martin-de-Pallières [Var]) qui daterait des années 1650, et où les deux protagonistes paraissent là aussi déconnectés l’un de l’autre, un certain nombre de toiles témoignent des difficultés de Jean Daret à traduire les solutions plastiques de ses pairs parisiens – ici Philippe de Champaigne – dont il s’inspire, sans doute à partir de gravures ou de dessins, mais auxquelles il ne parvient pas à donner vie. A contrario, ses toiles monumentales comme Le Don du Rosaire de l’église Sainte-Madeleine d’Aix-en-Provence ou celle de la collégiale de la Nativité- de-Notre-Dame, à Pignans (Var), surprennent par la richesse de leurs compositions, la circulation de la lumière dans l’espace ou encore le frémissement des personnages.
La richesse des églises
Face à ces paradoxes, il n’est pas interdit d’imaginer que Jean Daret ait signé nombre d’œuvres exécutées par des élèves peu doués, auxquels il aurait transmis de simples croquis. Bien qu’il soit un dessinateur habile dans les raccourcis, Jean Daret pourrait aussi avoir inventé le décor de l’hôtel de Châteaurenard avec un quadratoriste. La réapparition récente à Béziers, à l’occasion d’une vente aux enchères, d’un fonds d’une soixantaine de dessins du peintre – présentés comme « École française du XVIIe siècle, École italienne du XVIIe , École française du XVIIIe, École italienne du XVIIIe » –, en partie préemptés par le musée Granet, ne permet malheureusement pas d’en savoir plus, ni même de connaître les fonds documentaires à partir desquels il citait à loisir ses collègues parisiens. La confrontation de la toile de Jean Daret Pomone endormie (1643) – donnée sous réserve d’usufruit au musée du Louvre, à Paris – avec la Danaé de Jacques Blanchard (vers 1629, musée des Beaux-Arts de Lyon) est éloquente. Le peintre, qui avait côtoyé ce dernier lors de son premier séjour parisien, inversa sa figure, dont il aurait pu se souvenir ou simplement posséder une copie. L’histoire de l’art est une histoire de transmissions, de partages et d’échanges.
À Aix-en-Provence, peintre installé, Jean Daret souffrit sans doute parfois du manque de critiques fructueuses d’aînés. Son séjour parisien, au cours duquel il fut employé, de 1659 à 1661, aux décors du château de Vincennes – aujourd’hui disparus –, lui offrit ce souffle qui lui faisait défaut. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’il réalisa le premier portrait de chasseur (susmentionné) de la peinture française, en collaboration – l’œuvre est cosignée – avec Nicasius Bernaerts auquel une grande part du mérite revient incontestablement.
L’exposition est aussi et surtout une invitation à poursuivre la visite hors les murs, d’abord au musée du Vieil-Aix, où est présentée jusqu’au 5 janvier 2025 « Aix au Grand Siècle » (avec une cinquantaine d’œuvres dont quelques inédits), puis dans les églises provençales de quinze communes des Bouches-du-Rhône, du Var et du Vaucluse. Un site Internet, créé pour l’occasion et, surtout, une carte interactive permettent de guider les curieux à travers ce volet du « Plus grand musée de France » pour citer la Fondation Sauvegarde de l’Art français. Cette initiative fort louable, qui se prolongera dans le temps, est extrêmement bienvenue ; elle révèle un patrimoine méconnu, parfois demeuré intact. La richesse de certaines églises, notamment à Lambesc (Bouches-du-Rhône) ou Pertuis (Vaucluse), est remarquable.
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« Jean Daret. Peintre du Roi en Provence », 15 juin- 29 septembre 2024,
musée Granet, place Saint-Jean-de- Malte, 13100 Aix-en-Provence.