Le Monument à Balzac réalisé par Auguste Rodin est un scandale bien connu de l’histoire de l’art. En 1891, sur les conseils d’Émile Zola, la Société des gens de lettres commande à l’artiste une sculpture monumentale à la gloire de l’auteur décédé quarante ans plus tôt. Après sept années de recherches, Auguste Rodin livre un projet qui sera décrié par les commentateurs – lesquels y voient une simple ébauche – et refusé par les Gens de lettres.
Intitulé Dérobades. Rodin et Balzac en robe de chambre, l’essai de Marine Kisiel revient sur cet épisode en s’intéressant au long cheminement entrepris par Auguste Rodin pour retrouver et restituer la physionomie de l’écrivain. D’une plume aussi savante que romanesque, l’auteure nous entraîne dans cette enquête pour laquelle le sculpteur, après avoir réuni une large documentation, décide de se rendre en Touraine, terre natale d’Honoré de Balzac, afin d’observer les traits des locaux susceptibles de lui fournir des indices. Il va même jusqu’à rendre visite au tailleur de l’homme de lettres pour se procurer un complet à partir des mesures de celui-ci. Commence alors un long processus de création dans lequel le sculpteur se perdra, retardant la livraison du projet.
Des corps et des statues
Car, ainsi que l’indique le florilège des commentaires contemporains de l’entreprise d’Auguste Rodin rapportés par Marine Kisiel, un problème se pose : la physionomie d’Honoré ne répond pas au mythe Balzac. L’auteur était petit, et pire encore, corpulent. Après une analyse des choix du sculpteur face à ce dilemme et l’ampleur inattendue du rôle joué par la fameuse robe de chambre avec laquelle il habille l’écrivain, l’historienne d’art poursuit sa réflexion autour de l’idéalisation du corps au sein de la statuaire officielle et dans la société, qu’elle rapproche de notre idéal contemporain de la minceur. Un rapport au corps qui, précise-t-elle, a longtemps varié selon le genre.
C’est tout cela – et bien plus encore – que raconte l’Étude de robe de chambre pour Balzac, à partir de laquelle Marine Kisiel a tissé une réflexion originale et édifiante, foisonnante de références et en même temps très personnelle. La robe de chambre, conclut-elle, « compte pour son exhortation qu’elle nous fait d’aller voir, dans la matière même de ce qui la compose et dans son absence, ce que celles-ci disent de son temps, des croyances et des représentations dont il fut fait ».
Marine Kisiel, Dérobades. Rodin et Balzac en robe de chambre, Paris, Éditions B42, 2024, 128 pages, 15 euros.