Nul « hasard objectif », cher au fondateur du mouvement surréaliste, dans la concomitance entre les célébrations de son centenaire et la publication par le Centre Pompidou de cet ouvrage intitulé Mur, Mondes. L’atelier d’André Breton, sous la direction d’Aurélie Verdier. Le célèbre « mur » de l’atelier de l’auteur de Nadja (1928), jadis situé au 42 rue Fontaine, à Paris, est entré au musée national d’Art moderne en 2003. Du moins constitue-t-il un pan de la fabuleuse collection rassemblée par le poète et amateur d’art éclectique, où des œuvres de Pablo Picasso, de Francis Picabia, de Vassily Kandinsky, de Joan Miró et d’Alberto Giacometti côtoyaient des objets issus de cultures et d’aires géographiques variées, de l’Océanie aux Amériques. Une partie de cet ensemble fut dispersée aux enchères après la mort d’André Breton.
Fruit d’un projet international ayant mobilisé anthropologues et historiens de l’art, le catalogue raisonné dévoile l’intégralité des objets et œuvres qui ont composé ce « mur-monde », incarnation s’il en est de l’esprit du surréalisme – une composition comparable à celle d'un tableau, une création à part entière. Sa publication comble un manque et ponctue avec brio une année anniversaire, célébrée notamment au Centre Pompidou par la rétrospective « Surréalisme » (4 septembre 2024 – 13 janvier 2025) et l’exposition « Chaosmose » (16 octobre 2024 – 3 février 2025), qui réunit des œuvres de la collection du musée national d’Art moderne et du Fonds de dotation de Jean-Jacques Lebel, lequel fut proche de Marcel Duchamp et d’André Breton (lire notre entretien dans le numéro de janvier du mensuel The Art Newspaper).
Liberté : le mot s’impose en observant ce « spectaculaire agencement d’objets hétérogènes », tel que le décrit Aurélie Verdier. « Le seul mot de liberté est tout ce qui m’exalte encore. Je le crois propre à entretenir, indéfiniment, le vieux fanatisme humain. Il répond sans doute à ma seule aspiration légitime. Parmi tant de disgrâces dont nous héritons, il faut bien reconnaître que la plus grande liberté d’esprit nous est laissée. À nous de ne pas en mésuser gravement », exhorte Breton dans le Manifeste du surréalisme (1924).
« Véritable laboratoire mental du surréalisme, cet ensemble d’objets et d’œuvres aux provenances profondément hétérogènes fut le témoin de l’intimité du poète mais aussi le lieu du collectif, à travers les séances de sommeils surréalistes ou les enquêtes collectives sur l’amour et les engagements politiques, rendant compte de l’obsession surréaliste pour ces "rencontres capitales" d’une vie. Au fond, cet ouvrage baptisé Mur, Mondes parle de ces rencontres, vectrices d’intensité éprouvées par Breton sa vie durant », écrivent Laurent le Bon, président du Centre Pompidou et Xavier Rey, directeur du musée national d’Art moderne – Centre de création industrielle.
Outre l'inventaire détaillé des multiples objets (d’art populaire, pierres, insectes…) et d’œuvres occidentales modernes mais aussi de toutes provenances, présentés alors dans l’atelier sans hiérarchie, l’ouvrage donne à voir, à travers des photographies d’archives, l’univers (domestique et mental) d’André Breton, au cœur de son « musée imaginaire » – on pense inévitablement à ces portraits d’André Malraux chez lui à Boulogne, des images d’œuvres d’art posées au sol, ou encore à l’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg.
Inviter le lecteur à pénétrer dans le « Palais idéal » du surréalisme, dans ce décor d’exception minutieusement bâti, pièce après pièce, n’est pas la moindre des qualités de cette somme indispensable pour qui veut s’immerger en images et au fil de textes savants (signés notamment Philippe Descola, Jean-Pierre Criqui ou Marie Mauzé) dans l’antre magique de l’un des mouvements artistiques et littéraires les plus novateurs du XXe siècle.
Mur, Mondes. L’atelier d’André Breton, sous la direction d’Aurélie Verdier. Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2024, 368 pages, 400 illustrations, 69 euros. Édition numérotée sous étui, tirage limité à 150 exemplaires, 150 euros.