Frank Walter : Moon Voyage
Plus de 5 000 peintures, 600 sculptures, 1 000 dessins, une autobiographie de 8 000 pages, pour ne rien dire des photos, des heures d’enregistrement, des poèmes, des essais : ces chiffres ne visent pas à établir un record mais seulement à donner une idée de l’intensité de l’engagement de Frank Walter (1926-2009). Cette création s’est essentiellement développée dans les vingt-cinq dernières années de sa vie sur l’île d’Antigua (Caraïbes), dans un isolement en partie volontaire. Barbara Paca, qui a connu Frank Walter et fait exister son œuvre aux yeux du public, est la commissaire de cette première exposition personnelle à Paris, chez David Zwirner. En même temps que quelques peintures de la série Milky Way (Voie lactée), de quelques paysages et portraits, elle a choisi de présenter une cinquantaine de peintures sur carton de boîtes de cartouche polaroïd. Dans ces peintures alternent paysages des Caraïbes ou d’Europe, imaginés ou remémorés, et des abstractions méditatives. La présentation de ces petits formats en deux longues lignes serrées offre une belle façon d’appréhender cette production ininterrompue qui tient du journal et de l’essai. On suppose que des raisons économiques ont présidé au choix du support, mais le fait de recycler les boîtes de la photo gagne-pain pour fixer ses visions a une valeur symbolique forte. Si Frank Walter peint les deux côtés de la voie lactée avec une précision qui laisse supposer, derrière l’invention, une érudition scientifique et littéraire, quand il représente des cratères sur la lune, ceux-ci semblent avoir été peints sur le motif. Barbara Paca souligne à quel point ces visions étaient pour lui bien réelles. D’autres peintures et documents ouvrent des fenêtres sur l’artiste. Descendant d’esclaves et de colons d’origine allemande, s’imaginant un lien généalogique avec Charles II d’Angleterre, Frank Walter se considérait comme un europoïde et voyageait également à l’intérieur de l’histoire. Révélée il y a une dizaine d’années, cette œuvre n’a pas fini d’être découverte.
Du 10 janvier au 22 février 2025, David Zwirner, 108, rue Vieille du Temple, 75003 Paris [Commissaire : Barbara Paca]
Sylvie Fleury : « Sculpture Nails »
Avec en ouverture deux œuvres distantes de plus de trente ans, des boîtes de cartons Chanel exposées sur socle et sous cloche (Coco, 1991) et un néon au sol (Sculpture Nails, 2024), Sylvie Fleury s’offre une mini-rétrospective en forme de show room. Beauty Case (2024) pourrait servir d’enseigne ou d’emblème à une œuvre qui refuse de s’enfermer dans son statut historique et poursuit dans sa voie d’insolence et de feinte légèreté. Il s’agit d’un miroir en diptyque avec, sur la partie droite, la reproduction en sérigraphie d’une image tirée du film Vanity Case (1995), dans lequel Sylvie Fleury se plongeait dans le coffre de sa Buick 1967 pour y chercher sa trousse à maquillage. Cet autoportrait à la Pistoletto est une manière de se retourner sur son passé tout en moquant le fantasme masculin de la femme sans tête à talons hauts. Dans le grand déballage de l’exposition, une fusée fuchsia côtoie une pince à cheveux géante en aluminium que l’on croirait venue d’une autre planète, et des boîtes de poudre de milk-shakes en bronze s’entassent près d’une rangée de tapis de yoga Gucci en bronze avec, sur l’un d’eux, une paire de menottes en or de la même marque. Ces objets-sculptures laissent entrevoir de petits ou de grands drames humains faits d’addiction et de possession sous la tyrannie de la beauté. On flirte avec la narration quand un poudrier brisé est jeté sur un ensemble de carreaux d’acier à la Carl Andre. Ce choc visuel dépasse largement les questions d’esthétique.
Dans une deuxième partie de l’exposition, au premier étage, sont rassemblés des néons pour une expérience immersive dans laquelle les slogans publicitaires et messages de logiciels composent un poème métaphysique et lénifiant.
Du 11 janvier au 22 février 2025, Thaddaeus Ropac, 7 rue Debelleyme, 75003 Paris
Luca Vitone : Pitture Plastiche
Luca Vitone poursuit depuis près d’une vingtaine d’années son travail de réinterprétation et d’actualisation du monochrome. Parmi les exemples les plus notables figurent une série d’œuvres réalisées en 2007 avec des cendres produites par l’incinérateur d’ordures de Milan, ou, en 2017, quatre tableaux exécutés avec des poussières récoltées dans quatre centres de pouvoir emblématiques en Allemagne. Ces œuvres abstraites à base d’anti-pigments parlaient de la mémoire des lieux à travers les traces les plus fines de l’activité humaine. En 2022, il exposait ses premières Pitture Plastiche, tableaux noirs ou blancs faits de minces copeaux de flacons plastiques collés sur toute la surface de panneaux de carton. Les nouvelles Pitture Plastiche qu’il présente aujourd’hui existent dans trois formats différents dans chacune des trois couleurs primaires auxquelles s’ajoute l’or. Les couleurs sont belles, intenses, et font un rappel de l’ancienne tradition consistant pour le peintre à élaborer ses propres pigments. Difficile de ne pas penser à Klein. Luca Vitone s’inspire de l’œuvre d’Yves le monochrome mais la détourne de son idéalisme pour la confronter à la question du recyclage, ou plutôt à celle connexe du non recyclable. S’il s’agit bien d’une célébration de la couleur pure, la présence de résidus sur le bord inférieur des cadres-boîtes est là pour rappeler la réalité d’un processus simple et rattaché au quotidien.
Du 11 janvier au 1er mars 2025, Michel Rein, 42, rue de Turenne, 75003 Paris
Gerald Petit : Amarem
Peintre et photographe, Gerald Petit a pensé son exposition en deux temps, correspondant aux deux grands plateaux de la galerie. Au premier étage, il montre un ensemble de grandes toiles récentes. Ce sont des peintures d’atmosphères, ciels sombres et chargés de nuages ou grandes surfaces claires qui évoquent espaces aquatiques ou aériens. On les devine inspirées de photographies mais avec une tendance à s’affranchir par moments du modèle, à laisser place à l’accident, et même dans certains cas à s’approcher de l’abstraction. Le peintre ajoute sa marque aux manifestations naturelles. La réunion de ces tableaux est créatrice d’ambiance, et l’on n’est pas autrement surpris de voir des câbles d’amplificateurs connectés à des jacks femelles dans les murs, suggestion d’une bande-son imaginaire.
Gerald Petit dit quelque part que chaque couche de peinture agit sur la précédente comme un révélateur et qu’il voit dans ce phénomène une proximité avec la photographie. De photographie et de ces liens avec la peinture, il en est plus directement question dans l’installation présentée au deuxième étage. L’artiste a composé un grand mur d’images avec des photos de différentes époques de sa carrière, mêlant mises en scène, captures sur le vif, et recherches formelles à partir de froissements ou de révélateur appliqué au pinceau. Au sol, sont disposées trois rangées de quatre boîtes avec dans chacune quatre tirages d’une même photo : deux portraits et un nu. La répétition nous fait redoubler d’attention et donne aussi du mouvement. En écho à ces boîtes, on trouve des tableaux empilés au sol qui imitent les boîtes de papier photo Agfa ou Ilford et qui donnent à l’installation l’aspect d’un atelier rêvé. D’autres tableaux au mur prennent eux comme motif le graphisme des couvercles de boîtes Ilford enrichi d’improvisations colorées. Cette vision d’un atelier rêvé sert de bilan et de méditation sur une double pratique.
Du 12 janvier au 1er mars 2025, In Situ-fabienne leclerc, 43, rue de la Commune de Paris, 93230 Romainville