La foisonnante exposition « Figures du fou » au musée du Louvre, à Paris, témoignait de l’extraordinaire prolifération, à l’époque préclassique, des représentations de la folie, dans tous les sens du terme, ou presque (« Figures du fou. Du Moyen Âge aux romantiques », du 16 octobre 2024 au 3 février 2025). Car elle exclut de son propos l’aspect proprement pathologique du phénomène, « les hommes du Moyen Âge [n’ayant] pas représenté le désordre mental ou la maladie mentale de [leurs] contemporains », comme l’indiquent, dès l’introduction du catalogue, les commissaires et directeurs d’ouvrage Élisabeth Antoine-König et Pierre-Yves Le Pogam (Élisabeth Antoine König et Pierre-Yves Le Pogam (dir.), Figures du fou. Du Moyen Âge aux romantiques, Paris, Gallimard et musée du Louvre éditions, 2024, 456 pages, 45 euros).
La présentation kaléidoscopique, riche de plus de 300 œuvres et artefacts, datant du XIIe au XIXe siècle, se clôt néanmoins sur l’évocation des temps modernes et l’émergence d’une médecine spécifique aux souffrances psychiques. Ainsi, avec Pinel, médecin en chef de la Salpêtrière délivrant les aliénés de leurs chaînes en 1795 (1876, hôpital de la Salpêtrière, Paris) du peintre Tony Robert-Fleury, c’est la naissance de la psychiatrie qui est évoquée.
Charenton, une institution pionnière
Au-delà du caractère hagiographique de la légende entourant le clinicien français et des désillusions qui mettent en doute l’utopie libératrice du système asilaire, le « traitement moral » tel que conçu par Philippe Pinel dans son Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale, ou la manie (1800) constitue bien le paradigme originel sur lequel se fonde la discipline alors inédite. Les hôpitaux généraux les plus innovants en appliquent les principes précocement, à l’instar de la Maison royale de Charenton, dont la longue et singulière histoire est retracée dans une passionnante exposition organisée par les Archives départementales du Val-de-Marne, à Créteil.
Établissement ancien (fondé en 1641 grâce à un don fait à une communauté religieuse) et novateur (servant bientôt de modèle en France et en Europe), l’asile expérimental de Charenton est dirigé dès 1825 par Jean- Étienne Esquirol – ancien élève et disciple de Philippe Pinel –, lequel donnera son nom à la première législation psychiatrique du pays. Édictée en 1838, cette loi ne sera d’ailleurs modifiée qu’en 1990. D’hospice et maison de force, l’asile de Charenton devient une institution psychiatrique alors pionnière, qui certes continue d’enfermer, mais désormais dans le but de soulager et de réhabiliter.
Toujours en activité sous le nom d’hôpital Esquirol, l’établissement, situé sur la commune de Saint-Maurice (Val-de-Marne), poursuit ses missions d’accueil, de soin et d’accompagnement, tant bien que mal, dans un contexte général de dégradation des conditions de prise en charge des patients et de travail des soignants, comme en témoigne en filigrane Averroès & Rosa Parks (2024), le film documentaire de Nicolas Philibert. Deuxième volet d’un triptyque débuté avec le remarqué Sur l'Adamant (2023), cet attentif portrait collectif se concentre surtout sur la circulation de la parole au cœur de l’entretien thérapeutique, mais aussi de tous les autres échanges indispensables à une approche globale et collaborative du processus de guérison, souvent long et incertain.
« Aux sources de la psychiatrie, la Maison de Charenton (1641-1920) », du 18 octobre 2024 au 27 juin 2025, archives départementales du Val-de-Marne, 10, rue des Archives, 94000 Créteil, archives.valdemarne.fr