Matthew Lutz-Kinoy : Princess PomPom : medicine blue
Princess PompPom est l’avatar que Matthew Lutz-Kinoy s’est créé il y a tout juste dix ans à l’occasion d’une exposition à São Paulo. Sa signature, ce sont des rangées de pompons de laine suspendus au plafond qui se laissent pénétrer. Cette fois, ils sont bleu azur pour former un Medicine Passage, bleu encre pour The Storm, au rez-de-chaussée. Sur les murs sont accrochées des toiles à l’acrylique dans différents tons de vert ou de rose, qui s’inspirent de l’iconographie bouddhiste indienne. On y voit de grandes mains paumes ouvertes et tournées vers le bas qui portent sur leurs bords et sur leurs phalanges la figure de Bouddha comme au tampon. Bouddha est présent dans d’autres peintures, ainsi que des fleurs de Lotus et une divinité dansante. Des bordures fleuries ou quadrillées, le décalage dans certains cas du noir du dessin par rapport aux aplats de couleurs sont autant d’effets qui signalent ces œuvres comme intermédiaires entre tentures et tableaux. En bas de l’une des peintures, sur un bandeau-cartouche est répété un verset du Dhammapada qui compare la fleur poussant sur le tas de fumier au disciple éclairé parmi la foule des ignorants. Des meubles et des livres jouent également un rôle dans l’exposition. Il s’agit de deux fauteuils Chandigarh de Pierre Jeanneret transformés et augmentés de pompons bleus, et d’un lit sur lequel est posé un matelas de mousse creusé comme un tampon avec en bleu la figure du Bouddha. En réponse à un célèbre tableau de Sigmar Polke, l’artiste offre un lit à la peinture. Tous ces éléments créent une atmosphère et une dramaturgie. Par le biais du décoratif, ils abordent, dans une perspective queer, la question des échanges entre l’Inde et l’Occident, mais aussi des questions d’ordre géopolitiques. Les livres posés sur le bureau d’accueil sont The Making of the Americans, le grand roman de Gertrude Stein qui brille ici par son titre, et Pacem in Terris, un livre de photographies de 1968, inspiré d’une encyclique du pape Jean XXIII. Sur cette vision chrétienne estampillée guerre froide, Lutz Kinoy répand sa médecine bleue avec une légèreté feinte.
Du 31 mars au 28 mai 2025, Mennour, 28 avenue Matignon, 75008 Paris

Vue de l’exposition « Stefan Bertalan (1930-2014) : Œuvres majeures », chez Esther Schipper, Paris. Courtesy the Estate of Stefan Bertalan and Esther Schipper, Berlin/Paris/Seoul. Photo © Andrea Rossetti
Stefan Bertalan (1930-2014) : Œuvres majeures
Stefan Bertalan (1930-2014) fut l’une des figures marquantes du renouveau constructiviste dans la Roumanie d’après-guerre. Après avoir pris part au groupe Sigma dans les années 1970, il s’établit en Allemagne au milieu des années 1980, avant de revenir en Roumanie en 2012. Influencé par le Bauhaus et par Vassily Kandinsky en particulier, il est devenu un observateur attentif, passionné du monde minéral et du monde végétal, perpétuellement à la recherche de motifs et de structures qui pourront inspirer ses créations. Il a peu à peu développé sa propre cosmologie où se mêlent la cybernétique, l’architecture et la psychologie. Artiste multimédia, ce qui reste de son œuvre est constitué à une très large majorité de dessins. Coïncidant avec l’ouverture d’une rétrospective à la Fondation Art Encounters de Timisoara, cette première exposition parisienne nous offre une sorte de précipité de l’œuvre et témoigne de sa diversité d’intérêts. Les pièces exposées vont de dessins d’observations de végétaux à des paysages et des portraits, en passant par des dessins techniques. À cela s’ajoutent des documents relatifs à des constructions et à des performances. Certains dessins de mailles déformées tracées aux crayons de couleurs sont des études qui s’affirment comme œuvres à part entière. Dans un tout autre registre, le visiteur découvre un grand dessin de sous-bois chargé de notes manuscrites où réflexions sur la nature et le choix des couleurs côtoient des souvenirs d’enfance. C’est une véritable fabrique du sous-bois, pour parodier un titre célèbre. Enfin, il y a cette image symbolique d’un homme aux yeux fermés (on pense à l’autoportrait de Paul Klee) engagé dans un cycle de métamorphoses. Regressus ad allium cepa (Retour à l’oignon), teinté de théosophie et d’humour, est une image puissante et certainement une clé de la cosmologie de Bertalan.
Du 21 mars au 10 mai 2025, une proposition de Bernard Blistène, Esther Schipper, 16 place Vendôme, 75001 Paris

Vue de l’exposition « Pascal Vonlanthen : Murmurations », chez christian berst art brut, Paris. Courtesy christian berst art brut
Pascal Vonlanthen : Murmurations
En même temps que le quatrième volet de « Do The Write Thing » dans la galerie principale, Christian Berst présente dans The Bridge, son espace associé, « Murmurations », une première collaboration avec Pascal Vonlanthen. D.T.W.T. rassemble des œuvres d’artistes de l’art brut pour lesquelles le texte joue un rôle prépondérant. Il s’agit principalement d’écritures abstraites, asémiques, mais on y trouve aussi de véritables récits et des exercices typographiques. La présentation côte à côte d’un grand dessin de Josvedy Jove Junco (morceau de prose inspiré par le mythe de Babel peuplé de surprenantes créatures) et d’un recueil de prières (pages colorées de ce qui ressemble à des lettres étroitement tissées) de Jill Gallieni donne une idée du champ couvert.
Pascal Vonlanthen présente un cas particulier de ce que l’art brut peut faire à l’écriture. L’artiste est analphabète en raison du syndrome du X fragile, qui entraîne également des troubles cognitifs. Né en 1957 et ayant vécu longtemps dans la ferme familiale près de Fribourg, il commence par dessiner des animaux et des personnages. Ce n’est qu’à partir de 2014 qu’il se met à copier des lettres, des chiffres, voire des mots complets qu’il trouve dans des journaux. Avec eux, il trace des lignes ondulantes, des vagues qu’il superpose avec des préférences marquées pour certains caractères et certaines formes. L’appropriation de signes existants et les transformations apportées à l’écriture suggèrent des rapprochements avec la poésie visuelle, le lettrisme en particulier. Certaines lignes commencent par des mots parfaitement identifiables qui sont suivis de lettres détachées de toute signification, comme une perte progressive du sens au profit d’un mouvement équivalent visuel d’un bruit ou d’une rumeur. Souvent au centre de la composition, des superpositions de lignes font une sorte de tressage, un nid de lignes dans laquelle l’écriture paraît absorbée. Pascal Vanlonthen nous montre qu’il n’est pas besoin de posséder l’alphabet ni de comprendre les mots écrits pour les aimer et trouver en eux son propre moteur. Les quelques figures, homuncules ou animalcules qu’il dessine en parallèle, semblent des instruments de communication.
Du 15 mars au 26 avril 2025, christian berst - art brut, 3-5 passage des Gravilliers, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Simon Callery : Puncture Painting » chez Lo Brutto Stahl, Paris. Courtesy Lo Brutto Stahl
Simon Callery : Puncture Painting
Depuis le début des années 1980, le travail de Simon Callery est une véritable réinvention de la peinture sur le motif. Chacun de ses tableaux commence par un nettoyage en profondeur de la toile, suivi de son recouvrement par une détrempe à base de colle de peau de lapin et d’une forte quantité de pigment. Cette deuxième étape est pratiquée à chaud afin de garantir une parfaite imprégnation de la couleur. L’artiste emporte ensuite la toile en pleine nature et pratique des sortes de relevés dictés par la sensibilité plutôt que par un protocole scientifique. Il marque la toile par de petites découpes avec des ciseaux ou un cutter. Les toiles sont ensuite découpées en morceaux de différentes tailles et ceux-ci, dans un deuxième temps, réassemblés et cousus. Fermées comme des cylindres de toile, les peintures sont suspendues au mur par des tasseaux ou une barre d’aluminium et se présentent alors comme des volumes ouverts sur les côtés. Le regard peut y entrer. Ce sont des œuvres intermédiaires entre la peinture et la sculpture qui évoquent naturellement les Buchi de Lucio Fontana, sans la recherche d’espace caractéristique de ceux-ci. Dans les tableaux monochromes d’un jaune moyen ou d’un vert sombre qu’il expose, en même temps que quelques dessins, il a conservé les pièces de tissus découpées et les a fixées de manière éclatée sur la surface avec des petites boucles en acier tordu. Il a également tracé sur la toile au crayon des formes arrondies et des sortes de « u » qui rappellent les trous et les boucles. Cette combinaison de gestes de destruction et de rafistolages révèle une autre manière de faire : une approche quasi épidermique à laquelle se joint la vision d’une couleur intense et massive.
Du 22 mars au 26 avril 2025, Lo Brutto Stahl, 21, rue des Vertus, 75003 Paris