Avec Jean-Paul Felley, Olivier Kaeser a tenu pendant plus de dix ans les rênes d’attitudes, association qui soutenait depuis Genève la jeune scène artistique suisse comme internationale. Avant de prendre, toujours avec son complice, la direction du Centre culturel suisse (CCS), à Paris, pendant dix autres années. De retour en Suisse, Jean-Paul Felley est devenu directeur de l’École de design et Haute école d’art du Valais (EDHEA). Olivier Kaeser, lui, a poursuivi ce travail de commissariat qui l’anime depuis plus de vingt-cinq ans.
En 2019, il a fondé Arta Sperto, structure d’organisation, de production et d’édition de projets artistiques pluri et transdisciplinaires. Traduisez « expérience artistique » en espéranto. « L’expérience en live est quelque chose de très important pour moi », précise d’emblée Olivier Kaeser au Commun, l’espace d’exposition situé en face du musée d’Art moderne et contemporain (MAMCO Genève), qui accueillait jusqu’au début du mois d’octobre la 2e édition du Festival Dance First Think Later. « Au fil de mon parcours, j’ai vu et fait beaucoup de choses. Et je connais les projets qui ne m’intéressent plus du tout. Je n’ai plus envie, par exemple, de monter des expositions avec soixante artistes qui montrent chacun deux petites pièces. Mais j’ai le désir, après dix ans de tropisme suisse au CCS, de mélanger les nationalités et les backgrounds culturels », explique le commissaire, lequel constate aussi le décalage d’une époque où le temps disponible pour voir des œuvres est de plus en plus accaparé par les écrans. « Des outils comme Instagram font qu’une photo Polaroïd est vue à la même taille qu’une installation de 100 m3. Tout cela existe et ne peut être ni nié ni combattu, poursuit-il. On peut, en revanche, essayer de proposer autre chose, des expériences sensibles, physiques et spatiales. C’est toute l’ambition d’Arta Sperto. Ce choix de l’espéranto, même si l’idée est aujourd’hui un peu ringarde, est aussi une manière de convoquer cette utopie dont l’aspiration était de réunir toutes les cultures dans une seule langue.» La danse et l’art contemporain, en l’occurrence.
PÉRIODE CHORÉGRAPHIQUE
Le sujet est à la mode. Beaucoup de grands musées (le Centre Pompidou, à Paris, la Tate, à Londres, le Museum of Modern Art, à New York) offrent régulièrement leurs espaces à des chorégraphes. Une manière d’attirer le public autrement et d’imaginer que les corps figés dans les toiles et la pierre des objets exposés se mettent alors en mouvement. Approcher la danse à la fois comme sujet pour les artistes et pratique pour les chorégraphes, c’est tout le projet d’Olivier Kaeser. Il y a deux ans, lors de la première édition de son Festival, le commissaire genevois a invité les danseurs d’Alexandra Pirici à prendre la pose dans les collections du musée d’Art et d’Histoire de Genève. « Cette association entre danse, performance et arts visuels est un champ qui m’intéresse et qui reste, à mon sens, très peu exploité à Genève, note Olivier Kaeser. J’essaie en cela de montrer aux gens à quel point la danse irrigue tous les aspects de l’existence. On le voit avec le succès de TikTok. La danse est politique,
sociale et rituelle. Elle est aussi bien populaire, dans le cadre de la fête de famille ou de la rave party, que rigoureuse à l’extrême dans le cas du ballet où elle impose une hygiène de vie drastique. […] Cette manifestation a eu la malchance de démarrer en pleine pandémie de Covid-19. Ce qui l’a rendue compliquée à monter à un moment où toutes les salles étaient fermées, et les artistes et les compagnies coincés chez eux. Cela dit, j’ai trouvé cette période particulièrement chorégraphique. Nous avons dû désapprendre des gestes autrefois naturels, à commencer par la manière de se saluer. Ce qui a passablement bouleversé notre façon de nous comporter avec notre corps, surtout vis-à-vis des autres. Et a fait qu’une fois les confinements levés, nous ne savions plus très bien ce que nous pouvions encore faire ou non », s’amuse le commissaire.
ARTISTES TRANSVERSAUX
Dance First Think Later cherche ainsi à faire cohabiter dans un même projet des artistes transversaux venus de l’art contemporain, de la performance et de la danse. On pense à Tino Sehgal, Xavier Le Roy et Anne Teresa De Keersmaekerqui, depuis le début des années 2000, transposent dans des espaces d’exposition des projets conçus pour la scène. « Pour eux, c’est une manière d’abolir le rapport gradin-plateau, reprend Olivier Kaeser. Spectateurs, danseurs, performeurs se retrouvent tous au même niveau. On ne joue plus un spectacle à 20 heures, mais on propose un créneau de 11 heures à 18 heures pendant lequel le public peut venir vivre une expérience pendant dix minutes ou trois heures. »
Plus proches de l’art, on pourrait également invoquer les figures tutélaires que sont Marina Abramović, Matthew Barney ou encore Ulla von Brandenburg dont la vidéo des chorégraphies inspirées par la communauté Monte Verità passe en boucle au Commun. « À Bâle, il existe un milieu de la performance très respecté mais aussi très radical. Pour celui-ci, il n’y a que la performance qui compte. Si le projet commence à devenir une installation ou un film, il est jugé douteux. Ce n’est pas ce que je veux défendre, poursuit-il. Je vois beaucoup d’artistes très à l’aise dans la transversalité, comme Davide-Christelle Sanvee, dont la performance au Pavillon ADC [Association pour la danse contemporaine] mêlait l’histoire de ce lieu avec la sienne à travers une série de maquettes. Ou encore Lara Dâmaso, qui s’est formée aux Beaux-Arts entre Zurich et Leipzig et qui travaille sur le corps. Elle a 26 ans, elle danse, performe, chante, fait des expositions et prépare sa première pièce pour la scène du Gessnerallee, à Zurich, en 2023.»
Olivier Kaeser ne sait pas encore si une troisième édition de son Festival aura lieu. « J’aimerais beaucoup. Il me reste à trouver des espaces et à partir à la chasse aux subventions. À l’origine, Dance First Think Later était un one shot que j’imaginais faire voyager en Suisse, en France et en Belgique. La pandémie l’en a empêché. C’est le public, surtout celui des arts vivants, qui l’a ensuite envisagé comme un festival biennal. Ce qui m’encourage, maintenant que tout est à nouveau ouvert, à conti-nuer», conclut-il.