La foule avait répondu présent dans la cour de l’hôtel de Montcalm à Montpellier le vendredi 10 mars 2023 à 18 h 30, plus de mille personnes selon certaines sources. Le M.O.C.O., établissement public de coopération culturelle incluant plusieurs institutions, des lieux d’exposition et une école d’art, inaugurait en effet une manifestation attendue : « Immortelle, vitalité de la jeune peinture figurative française ». Dans le public, figuraient des peintres et des collectionneurs venus de toute la France. L’écoute était attentive. Dans son discours, la commissaire Amélie Adamo, faisant suite à celui du directeur général du MO.CO., Numa Hambursin, a annoncé une exposition « manifeste » autour de la peinture française, développée avec ambition sur deux lieux immenses : le MO.CO. et le MO.CO. Panacée.
Selon la commissaire, la peinture a trop longtemps été ignorée et cette exposition vient réparer cette erreur. Une nouvelle ère commence. Toujours selon elle, les institutions les plus puissantes ne jouent pas leur rôle, et l’exposition qui s’ouvre a pour but de révéler au grand public des artistes trop méconnus et sous-estimés. Le maire de Montpellier a été plus loin encore, associant dans une étrange analogie les guerres contemporaines et le refuge que la ville offrira toujours aux peintres : « chers peintres, vous êtes ici chez vous ! », a-t-il proclamé. Après les discours, la foule a cherché à entrer dans l’exposition. Il nous aura fallu plus d’une heure pour accéder aux salles. Première indication : le public professionnel et les spectateurs ont fait le déplacement. On veut voir de la peinture, l’engouement est évident.
Dans les allées immenses et impeccables du MO.CO.,ce sont quatre-vingt-dix artistes – nés dans les années 1970 et 1980 – qui sont présentés, à travers plus de deux cent cinquante œuvres. S’y ajoutent une trentaine d’artistes plus jeunes, et quatre-vingt-dix œuvres, au MO.CO.Panacée. Les chiffres donnent le tournis. Deuxième évidence : l’ambition est réelle. L’accrochage mélange les artistes dans une approche qui se veut thématique, autour du « Désir de peinture », des « Fantômes » et des « Cycles ». Les formats varient mais une prédilection transparaît pour les très grands tableaux. Les œuvres ne sont pas nécessairement récentes et nombre d’entre elles ont été réalisées il y a plusieurs années. Quelques pièces ont été produites in situ, comme les muraux d’Oda Jaune, Florence Obrecht et Gilles Miquelis.
Les artistes ne sont pour la plupart pas des inconnus : Abdelkader Benchamma (galerie Templon), Ida Tursic et Wilfried Mille (Almine Rech) ou Mathieu Cherkit (Xippas) sont régulièrement exposés dans des galeries et foires, en France et à l’étranger.
Cet ensemble de peintures est d’une grande puissance, et témoigne d’une scène extrêmement vivante, comme le proclame à sa façon le titre de l’exposition. L’accrochage cependant questionne : quelle est sa logique ? Des analogies formelles apparaissent bien, par exemple, avec des paysages ou des Christ, mais cela suffit-il à faire une exposition, et surtout un « manifeste ». La première section, par exemple, parle d’un « amour du médium et (d’une) nécessité de créer », qui semblent être des concepts d’une telle généralité qu’ils pourraient s’appliquer à tous les peintres du monde. Une salle barrée par un rideau, avec force avertissements pour les âmes sensibles, condamne un grand nombre d’œuvres à une supposée intention érotique ou pornographique, ce qui n’est pas du tout évident, notamment la chaste baigneuse au masque de plongée d’Adrien Belgrand, ou le téton mordu de Raphaëlle Ricol.
La section « Fantômes » annonce une confrontation potentiellement stimulante avec le tragique de l’histoire, notamment à travers les œuvres d’Axel Pahlavi ou Nazanin Pouyandeh qui entretiennent un rapport complexe et tendu avec l’Iran. Mais rien dans l’exposition ne l’explique. Le dernier thème, « Cycles », aborde la vie et la mort, mais là aussi, il semble d’une généralité excessive, qui vaudrait pour tous les artistes, vivants et morts.
L’accroche pose questions : quels sont les points communs à ces peintres ? Quel est leur rapport au temps présent, à la société ? Quelle place prennent-ils dans les débats culturels, environnementaux, politiques de notre époque ? Que lisent-ils ? Que voient-ils ? Quelles sont leurs différences ? Leurs contradictions ? La lecture du catalogue (qui prend la forme d’un annuaire) n’apporte pas beaucoup de réponses. Trois questions d’une banalité étonnante ont été systématiquement posées à chaque artiste, dont « la peinture est-elle éternelle ? ». Le texte autobiographique de la commissaire Amélie Adamo s’apparente à un name dropping de peintres extrêmement différents, sans explication, sinon qu’elle les côtoie personnellement.
Effectivement, le monde de l’art les connaît, ces peintres, il les a vus dans des foires et des galeries, et nombre d’entre eux, pas tous, occupent une place de choix sur le marché florissant de la peinture. Il aurait été possible d’en ajouter beaucoup d’autres, le double sans doute. Surtout, un travail de mise en perspective et de documentation aurait été un vrai plus porté par une institution de la taille du MO.CO. et affichant une telle ambition. L’enjeu de l’exposition était vraiment là.
Dès le soir du vernissage, des débats ont commencé. Des rengaines éculées sur l’opposition supposée entre l’art du concept et celui de la rétine, entre la figuration et l’abstraction, entre les Allemands et les Américains qui promeuvent leurs peintres et pas les Français, et même un antagonisme entre la province et Paris, que l’on espérait dépassé. Sans doute les institutions nationales ont-elles boudé la peinture durant des décennies, au nom d’une supposée fin de l’art, d’une fin de la peinture et d’une fin de tout, terriblement française. Certains font même des reproches au Prix Marcel-Duchamp qui n’a récompensé que deux peintres dans toute son histoire.
Sur Twitter, le débat que suscite l’exposition oppose rapidement Stéphane Corréard, critique et galeriste, qui refuse de voir le peintre avant l’artiste et se méfie des réunions de peintres inégaux au nom de leur seule démarche picturale, et Thomas Lévy-Lasne, artiste présent dans la manifestation de Montpellier, animateur de la chaîne YouTube Les apparencesqui donne la parole aux peintres, et qui a été commissaire d’une exposition de peintures à Perpignan en 2019. Thomas Lévy-Lasne remarque à juste titre que les expositions de photographies ne posent pas tant de problèmes, et que plusieurs lieux importants à Paris sont consacrés à ce médium, mais aucun à la peinture.
C’est sans doute la plus grande qualité de cette exposition que de susciter la controverse, et, nous l’espérons, d’encourager le travail de critiques, d’historiens, de romanciers, et pourquoi pas de cinéastes sur le puissant vivier français d’artistes utilisant la peinture. Nous espérons aussi que d’autres expositions, peut-être moins fournies mais mieux documentées, seront bientôt organisées, permettant au public, mais aussi aux médias généralistes, de s’approprier et de mieux connaître les peintres français.
« Immortelle, vitalité de la jeune peinture figurative française », du 11 mars au 4 juin 2023, MO.CO., 13 rue de la République, 34000 Montpellier ; du 11 mars au 7 mai 2023, MO.CO. Panacée, 14 rue de l’École de Pharmacie, 34000 Montpellier