Installée dans la friche industrielle la Belle de Mai, recouverte de tags et jouxtant les quais du TGV, fréquentée par un public varié pour le moins inclusif, Art-o-rama cultive de longue date un esprit jeune et branché. Un mélange des genres qui marche, et attire des amateurs en quête de découvertes au moment de la rentrée, dans un esprit détendu et encore estival.
Marseille, terre d’accueil et de brassage parfois chahuteuse, se prête aux coups d’audaces. Force est de constater que pour cette 17e édition, le Salon d’art contemporain né en 2007 et régi par l’association FRAEME affiche un visage plus sage que d’autres années. Cette fois, point de murs détruits ou d’explosions de couleurs. Alors que contrairement à d’autres événements les exposants disposent d’une grande latitude pour aménager à leur guise leur stand, la majorité ont conservé la structure usuelle du « white cube ». Ceci donne à l’ensemble une allure générale plus classique. On y voit aussi davantage de peintures, et moins d’installations. Bref, la Foire affiche moins de prises de risque.
Certains perpétuent tout de même cette tradition, la prolifération des solo shows (28 au total !) donnant aux artistes une grande visibilité. Tels Nicolas Lamas et sa photocopieuse démantelée et envahie par les champignons, réflexion sur l’obsolescence programmée chez l’enseigne bruxelloise Meessen De Clercq. « La foire nous permet de se reconnecter avec des gens que nous ne voyons pas toujours à Bruxelles ou à Paris », confie Antoine Defeyt sur le stand. Pour sa première participation, la Zurichoise lange + pult, qui ouvre le 14 septembre un espace à Genève, a misé sur Mathieu Mercier et ses pièces conceptuelles (entre 2 000 et 20 000 euros). « C’est la seule foire que nous faisons en France, donc c’est important pour nous, également pour se rapprocher du marché français », explique Leila Niederberger, qui a vu passer notamment des collectionneurs marseillais et beaucoup d’artistes.
Peu de vidéos sont présentées cette année, à l’exception du très poétique Sorbier de l’oiseleur (2018) de Jean-Baptiste Perret, ode à la nature chez salle principale (Paris) à 5 000 euros ; ou l’installation en duo de Camille Bernard et Corentin Darré chez Sissi Club de Marseille autour d’un mystérieux monde aquatique…
Chez In Situ - fabienne leclerc, de Romainville, l’Américain Gary Hill dialogue avec la jeune Nigériane Oroma Elewa. Le premier questionne le genre dans une vidéo et dans plusieurs œuvres sur papier mixant « she » (elle) et « he » (lui), qui seront incluses prochainement dans l’exposition « Gertrude Stein et Pablo Picasso, l’invention du langage » au musée du Luxembourg à Paris (à partir du 13 septembre). Oroma Elewa provoque quant à elle le spectateur avec ses femmes noires aux phrases chocs notamment autour du rapport à l’argent. Enfin, nouveau venu, Hatch (Paris) présente un focus sur Léo Fourdrinier qui revisite la figure de Janus dans une vision décalée et futuriste… La foire, qui s’internationalise encore plus avec près de 80 % de galeries étrangères, devra cependant les accueillir tous avec égalité : le plan du salon laisse cette année plusieurs enseignes tout au fond, le dos tourné aux axes de circulation, quasiment cachées.
Le Salon marseillais Art-o-rama reste un port d’entrée en France pour de nombreuses galeries, à l’instar de la toute jeune enseigne canadienne Parc Offsite, Eli Kerr, qui a participé à Liste à Bâle en juin et montre ici entre autres les « jpeg » en céramique d’Anthony Burnham, présent dans les collections du Consortium à Dijon ou du Centre Pompidou à Paris. Autre galop d’essai en France, celui de la galerie new-yorkaise Someday, qui s’est délestée d’un amusant chien en bas-relief de la Belge Aline Bouvy, artiste qui présente aussi une grande œuvre sur bois montrant un personnage en train de plonger dans une eau incertaine. Big splash à Marseille pour une nouvelle génération de galeries ?
La Foire, qui au début attirait surtout les représentants des centres d’art pointus, voit arriver un nouveau public d’amateurs curieux et acheteurs, dont beaucoup de Marseillais, qui croisent des Belges, des Suisses amoureux de la Provence… Malgré son image branchée et son cadre un rien « destroy », elle a même reçu la visite au vernissage de membres de la famille Saadé, le plus grand armateur français… Réputée peu commerciale, elle tend à le devenir davantage. Ce qui explique que les galeries présentent de plus en plus d’œuvres de petit format, de pièces séduisantes ou de noms qui font mouche, parfois les deux réunis. Il en est ainsi des natures mortes photographiées entre deux tournages par Pedro Almodóvar, mises en valeur par les peintures florales murales (détachables !) de Santi Moix chez Marlborough. « L’équipe de la foire est fantastique, et le public aussi, il est plein de curiosité pour tout, il y a de très bonnes ondes », confie Mercedes Ros, directrice de l’espace à Barcelone. C’est Tiago de Abreu Pinto, qui a rejoint la galerie récemment à Madrid, qui l’a incité à participer à Art-o-rama après y avoir été une fois curateur. Pour sa première participation, l’enseigne madrilène et barcelonaise (également établie à New York et à Londres), avait quasiment vendu toutes les photos exposées ce vendredi midi, lendemain du vernissage ! « Le réalisateur est très aimé en France », explique Mercedes Ros. Art-o-rama aussi visiblement.
Art-o-rama, jusqu'au 3 septembre 2023, Friche la Belle de Mai, 41, rue Jobin, 13003 Marseille.