Alfred Otto Wolfgang Schulze, dit Wols, est l’une des figures les plus fascinantes de l’art de la première moitié du XXe siècle. Né à Berlin à la veille de la Première Guerre mondiale, en 1913, l’artiste allemand décède au sortir de la Seconde, en 1951, à Paris – Wols n’avait que 38 ans. Si sa carrière ne porte donc que sur une vingtaine d’années, son œuvre plastique et littéraire est en tout point fulgurante, à l’instar de celle d’Antonin Artaud ou d’Henri Michaux. Wols débute par la photographie; devenant un photographe réputé à Berlin puis à Paris.
Il se met au dessin et à l’aquarelle durant son emprisonnement, en tant qu’« ennemi étranger », dans les différents camps d’internement français de Neuvy-sur-Barangeon (Cher), de Montargis (Loiret), des Milles (à Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône) et enfin de Saint-Nicolas de Campagnac, près de Nîmes (Gard). Réfugié en 1942 à Dieulefit (Drôme), il y rencontre l’écrivain Henri-Pierre Roché et s’essaye à la peinture à l’huile.
Wols espère obtenir un visa pour les États- Unis au moment où une centaine de ses aquarelles sont présentées à la Betty Parsons Gallery, à New York. De retour à Paris, en 1945, il commence à travailler avec le marchand René Drouin. Deux ans plus tard, le peintre français Georges Mathieu, sortant de la seconde exposition de Wols chez Drouin, ne craint pas de clamer : « Quarante toiles, quarante chefs-d’œuvre. Toutes plus foudroyantes, plus déchirantes, plus sanglantes les unes que les autres […] Le cri le plus lucide, le plus évident, le plus pathétique du drame […] de tous les hommes ». Cet aveu décrit non seulement une œuvre essentielle et magistrale, mais l’inscrit dans une légende qui auréole autant qu’elle enferme Wols dans une posture sacrificielle dont il ne se dépêtrera plus.
UNE ANTHOLOGIE
Le Centre Pompidou, à Paris, qui détient un important fonds Wols, avait programmé une ambitieuse rétrospective en 2020; la pandémie du Covid-19 n’en a jamais permis l’ouverture. Aujourd’hui, c’est le galeriste Karsten Greve, ardent défenseur de l’artiste en Allemagne et en France, qui prend le relais en éditant un livre trilingue (anglais, français, allemand) de plus de 500 pages. Sous la forme d’un coffret de deux volumes, celui-ci rassemble un ensemble conséquent de travaux, de regards critiques ou poétiques inédits, de documents de première main – dont les écrits mêmes de Wols –, ainsi que des annexes biographiques et bibliographiques d’une précision inégalée.
L’historienne d’art Françoise Le Gris s’attache à la notion d’« être-là », le Dasein, au cœur de l’œuvre de l’artiste allemand – une œuvre qui émerge après l’Holocauste. De son côté, l’historien d’art Christian Spies analyse finement les abondants dessins de Wols; ces derniers sont d’une incroyable densité dans leurs évocations d’écritures urgentes et magiques de motifs cellulaires primitifs, de formes végétales étranges ou de figures animales inquiétantes, de villes tentaculaires et d’îles à la dérive… Le critique Shiego Chiba y révèle quant à lui la réception de « l’action de
peindre » de Wols au Japon.
Cet ouvrage d’anthologie dresse ainsi un panorama fécond sur la personnalité et les différents aspects de l’œuvre d’un artiste dont la lucidité et la clairvoyance étonnent encore aujourd’hui. Selon les mots mêmes de Wols : « Je ne sais pas ce qu’ils apportent, les larmes et les bruits, mais les dessins sont là. »
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Wols, Cologne, Galerie Karsten Greve, 2023, 2 vol. sous coffret, 517 pages, 80 euros.