Il s’agit d’un véritable événement aux Pays-Bas : pour la première fois, deux des plus importants musées amstellodamois – le Stedelijk Museum et le Van Gogh Museum – collaborent afin d’organiser une manifestation d’envergure dédiée à un artiste vivant : Anselm Kiefer.
Le Stedelijk Museum entretient des liens avec le travail d’Anselm Kiefer depuis plus de quarante ans, l’institution ayant acquis, dès 1981, l’un de ses tableaux majeurs, Innenraum. Outre deux nouvelles installations et des peintures récentes, l’exposition au Stedelijk Museum rassemble pour la première fois toutes les œuvres du peintre allemand entrées depuis lors dans la collection.
Dans les pas de Vincent van Gogh
En 1963, à l’âge de 18 ans, Anselm Kiefer obtient une bourse avec laquelle il décide de suivre les traces de l’itinéraire de Van Gogh depuis les Pays-Bas jusqu’à Arles, en passant par le Borinage, en Belgique, et puis par Paris. L’influence du peintre hollandais a non seulement marqué le jeune Kiefer, comme en attestent les quelques dessins de cette année 1963, rassemblés dans une salle du Musée Van Gogh, mais aussi l’ensemble de sa démarche, comme il l’écrit dans le catalogue : « Ces journées passées dans le petit village de Fourques, près d’Arles, furent comme une initiation pour moi. Les dessins que j’ai réalisés durant une de ces journées étaient clairement influencés par Vincent van Gogh, une influence qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui. Cependant, je n’étais pas trop intéressé par l’aspect émotionnel du travail de Van Gogh. Ce qui m’a impressionné, c’était la structure rationnelle, la construction sereine de ses peintures dans une vie qui était de plus en plus hors contrôle. »

Anselm Kiefer, Beilzeit - Wolfzeit, 2019. Exposition « Anselm Kiefer - Sag mir wo die Blumen sind », Stedelijk Museum Amsterdam & Van Gogh Museum, 2025. Courtesy of the artist & Gagosian Gallery. Photo: Michael Floor
Malgré la différence d’échelle entre les tableaux monumentaux de Kiefer et les toiles de dimension plus réduites de Van Gogh, un réel dialogue s’établit entre eux, autour de leur fascination commune pour la nature, son exubérance, sa plasticité et la lumière du sud qui vient en quelque sorte dynamiser les compositions. Outre la présence de végétaux et plus particulièrement des tournesols chez chacun d’entre eux, quelques grands formats récents du peintre allemand font explicitement référence au travail de Van Gogh. Toujours en tenant compte de leur différence de format, tous deux adoptent une façon panoramique de traiter le paysage et ses horizons, ceux des champs comme ceux des ciels, tourmentés à leur manière, dans un amalgame de couleurs tantôt sourdes, tantôt incandescentes. Bien entendu, le peintre allemand travaille plus spécifiquement la matière en utilisant simultanément de l’huile, de l’acrylique, de la laque dans ses toiles où il introduit également du plomb, de la paille et d’autres végétaux, de la feuille d’or, de l’argile, des fils métalliques ou encore du charbon de bois. Les dimensions alchimiques et les références poétiques, littéraires, philosophiques et historiques ne cessent de cohabiter dans ses compositions. Celles-ci font constamment appel à la mémoire, comme une mise en garde face aux soubresauts qui bouleversent l’Europe et le monde aujourd’hui.
« Où sont passées toutes les fleurs ? »
En face, au Stedelijk Museum, l’exposition se découpe en deux parties. Dans les grandes salles, le visiteur découvre la collection des Kiefer du musée, mais aussi des œuvres plus récentes dont l’accrochage renvoie à celui du Musée Van Gogh : une salle accueille quatre toiles de près de 40 m2, défiant le visiteur par leur monumentalité, comme s’il s’agissait de l’amener à faire front et à s’immerger dans des paysages des plus tourmentés, aux forts contrastes colorés.

Anselm Kiefer, Innenraum, 1981. Collection Stedelijk Museum Amsterdam. Exposition « Anselm Kiefer - Sag mir wo die Blumen sind », Stedelijk Museum Amsterdam & Van Gogh Museum, 2025. Photo: Michael Floor
Pour y arriver, il lui aura fallu traverser l’environnement qui donne son titre à cette double manifestation : « Where Have All the Flowers Gone ? » (« Où sont passées toutes les fleurs »), vaste installation qui s’intègre et enveloppe l’escalier monumental du bâtiment historique de l’institution. Combinant une partie des matières citées plus haut, l’ensemble évoque le cycle de la vie et de la mort, mais aussi de la condition humaine et du destin de l’humanité en général. En dépit de sa virtuosité picturale, de sa complexité technique et de sa richesse chromatique, l’œuvre ne prête pas à l’optimisme, avec des dizaines d’uniformes militaires décatis par les affres du temps, comme s’ils venaient d’être déterrés d’une potentielle fosse commune. Cette référence aux conflits à la porte de l’Europe n’est pas anodine pour un artiste allemand né l’année de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le titre de cette installation renvoie par ailleurs explicitement à la chanson antimilitariste du musicien américain Pete Seeger, composée en 1955, et magnifiquement interprétée par une Allemande qui avait choisi le camp allié : Marlene Dietrich.
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« Anselm Kiefer. Where Have All the Flowers Gone ? », jusqu’au 9 juin 2025, Van Gogh Museum, 6, Museumplein, 1071 Amsterdam, www.vangoghmuseum.nl
Stedelijk Museum Amsterdam, 10, Museumplein, 1071 Amsterdam, www.stedelijk.nl