Malgré le retrait de huit lots à la dernière minute, la vente du soir d’art moderne organisée le 13 novembre 2023 par Sotheby’s à New York a atteint un total de 190,3 millions de dollars (223,6 millions de dollars avec les frais). L’estimation d’avant la vente des 33 lots restants était de 179,4 à 248 millions de dollars. Les huit lots retirés totalisaient une estimation de 19,3 à 26,7 millions de dollars. Quinze des œuvres proposées, soit un peu moins de la moitié, bénéficiaient d’une combinaison d’offres irrévocables et de garanties de la maison. Le total est inférieur au résultat de novembre 2022, qui s’élevait à 253,3 millions de dollars (frais compris).
La soirée a débuté avec la mise à l’encan de Road #7 (1956) d’Hedda Sterns, une œuvre expressionniste abstraite réalisée à l’huile et à la peinture aérosol sur toile, qui a atteint le prix record de 650 000 dollars (818 000 dollars avec les frais), dépassant son estimation haute de 600 000 dollars.
Elle a été suivie par une petite nature morte cubiste de Pablo Picasso, La Glace (1912), adjugée à 3,1 millions de dollars (3,8 millions de dollars avec les frais). Il s’agit de l’une des sept œuvres de Picasso proposées dans la vente du 13 novembre, provenant de divers propriétaires et issues de différentes époques. La plus chère d’entre elles était le luxuriant Compotier et guitare (1932), une sorte d’ode à sa jeune maîtresse et muse Marie-Thérèse Walter. Le tableau a été adjugé à un enchérisseur au téléphone pour 21 millions de dollars (23,4 millions de dollars avec les frais), en deçà de son estimation non publique de l’ordre de 25 millions de dollars. L’œuvre avait été proposée aux enchères par la même maison de ventes à New York pour la dernière fois en mai 2000, et adjugée alors à 9,9 millions de dollars ; cette fois-ci, elle a bénéficié de la garantie d’un tiers.
Le plus ancien des Picasso vendus, Buste de Femme, datant du printemps 1909, représentait le visage cubiste de son amante de l’époque, Fernande Olivier, et avait été exécuté à la gouache sur papier monté sur carton. L’œuvre a été vendue à un autre enchérisseur au téléphone pour la somme décevante de 12 millions de dollars (13,6 millions de dollars avec les frais), bien en deçà de son estimation de 18 à 25 millions de dollars. Manifestement, la réserve confidentielle a été suffisamment baissée pour satisfaire l’enchérisseur irrévocable.
L’un des lots phares de la soirée était une fantaisie romantique de Marc Chagall, Au-dessus de la ville (1924). Représentant un couple d’artistes enlacés flottant au-dessus des toits de leur village de Vitebsk, en Biélorussie, elle a été adjugée 13,3 millions de dollars (15,6 millions de dollars avec les frais), soit largement dans la fourchette de son estimation de 12 à 18 millions de dollars.
Dans le cadre d’une importante opération de « deaccessioning » (vente d’œuvres de la collection) menée par l’Art Institute of Chicago, une peinture de Balthus, détenue de longue date par le musée et souvent exposée, provenant de la collection Joseph Winterbotham, a été mise sur le marché, avec la garantie d’un tiers. La Patience (1943) représente une jeune femme penchée sur une table à cartes et jouant au solitaire. L’œuvre a été vendue au célèbre marchand américain Jeffrey Deitch pour 12,5 millions de dollars (14,6 millions de dollars avec les frais), ce qui correspond à son estimation de 12 à 18 millions de dollars.
Un groupe d’œuvres provenant d’une collection japonaise – baptisé pour la vente « Rêverie artistique » – comprenait la sculpture de Joan Miró Projet pour la céramique murale de l’Unesco. Le Mur du soleil (1955), commandée pour le siège de l’Unesco à Paris. Elle a été vendue pour 1,2 million de dollars (1,5 million de dollars avec les frais), dans la fourchette de son estimation de 1,2 à 1,8 million de dollars.
L’estimation la plus élevée de la soirée revenait à Peupliers au bord de l’Epte, temps couvert, de Monet, tableau signé et daté de 1891, que Sotheby’s espérait vendre entre 30 et 40 millions de dollars. L’œuvre a été adjugée à un enchérisseur au téléphone en Asie pour 26,5 millions de dollars (30,7 millions de dollars avec les frais). La toile a été présentée pour la dernière fois au public lors de l’exposition itinérante « Paul Durand-Ruel and the Modern Art Market », présentée entre 2014 et 2015 à la National Gallery de Londres, au Philadelphia Museum of Art et au Musée du Luxembourg, à Paris (sous le titre : « Paul Durand-Ruel. Le pari de l’impressionnisme. Manet, Monet, Renoir… »). Une autre œuvre de cette collection japonaise, l’huile sur toile de Cézanne à peu près de la taille d’une feuille A4, L’Assiette bleue (1879-1880), gorgée de fruits mûrs, a été vendue à la marchande londonienne Angela Nevill, également connue sous le nom de Lady Angela Keating, pour 5 millions de dollars (6 millions de dollars avec les frais). Ces « Rêveries artistiques » ont réalisé 50,8 millions de dollars (59,8 millions avec les frais).
Mais c’est Monet qui a été la star de la soirée, deux autres de ses œuvres ayant atteint des prix élevés. Le Moulin de Lemitz (1888), en provenance des descendants des célèbres collectionneurs impressionnistes Bertha et Potter Palmer, représente un moulin à grains dans un petit village situé à un kilomètre de la maison de l’artiste à Giverny. L’œuvre a été exposée à l’Art Institute of Chicago dans le cadre de « Monet and Chicago » de 2020 à 2021 et a rapporté la somme impressionnante de 22 millions de dollars (25,6 millions de dollars avec les frais), dépassant son estimation de 12 à 18 millions de dollars. Fait remarquable, les Palmer avaient acquis le tableau à Paris en mai 1892 et l’œuvre était restée dans la famille jusqu’à cette vente. Le marchand londonien Alon Zakim était l’un des nombreux sous-enchérisseurs pour cette œuvre. Interrogé par The Art Newspaper sur les raisons qui l’ont conduit à cesser d’enchérir, il a répondu, avec un grand sourire : « Je suis un marchand et je dois me fixer une limite et m’y tenir ».
Un troisième Monet, Soleil sur la Petite Creuse (1889) – l’une des 24 peintures que l’artiste a réalisées dans la région accidentée de la vallée de la Creuse, dans le Centre de la France – a été vendu pour 7,2 millions de dollars (8,6 millions de dollars avec les frais).
Du côté des sculptures, Le Lys (1964), le mobile aérien d’Alexander Calder composé de 12 éléments en forme de pétales rouges, noirs et blancs, a été adjugé 1,8 million de dollars (2,2 millions de dollars avec les frais). Le bronze posthume d’Alberto Giacometti Femme de Venise VIII, d’une hauteur de 121 cm, tiré d’un moulage de 1973, s’est vendu pour 11,2 millions de dollars (12,6 millions avec les frais). Le consignateur du Giacometti l’avait acquis en 1987 auprès de la Galerie Jan Krugier à Genève, en Suisse.
Peu d’œuvres proposées dans cette vacation possédaient un historique de vente aux enchères et la plupart de celles qui en avaient un étaient passées pour la dernière fois sur le marché il y a plus de vingt ans. Cela montre que les pièces dites « fraîches » sont préférables – et nécessaires – dans un marché plus exigeant, voire tatillon.
Astro errante (1961) de Remedios Varo, surréaliste espagnol en exil, qui s’était installé à Mexico après avoir fui la guerre civile espagnole, représente une figure cosmique enveloppée dans un vêtement bleu effiloché. L’œuvre a été vendue pour 1,4 million de dollars (1,7 million de dollars avec les frais). Sa dernière adjudication, pour 206 000 dollars, remontait à la vente latino-américaine de Christie’s à New York en mai 1993. « J’allais faire une dernière offre, mais Elan, ma femme, m’a tapé sur le pied », a déclaré le sous-enchérisseur, Alexander Rower, président de la Fondation Alexander Calder.
Bien que la vente aux enchères de Sotheby’s ait été dominée par les artistes français, les Américains ont aussi eu leur mot à dire, comme en témoigne une toile abstraite chatoyante de Mark Rothko, Untitled (1968), dans des tons bleu profond. L’œuvre, exécutée à l’huile sur papier marouflé sur toile, a été vendue au marchand new-yorkais Andrew Schoelkopf pour 20,5 millions de dollars (23,8 millions de dollars avec les frais). Ce prix est remarquable et constitue un record pour une œuvre sur papier de l’artiste. Le produit de la vente sera reversé au Memphis Brooks Museum of Art, dans le Tennessee.
« C’est un véritable marché de collectionneurs, a commenté Charles Stewart, directeur général de Sotheby’s, quelques instants après la vente. Ce n’est pas un marché de spéculateurs et cela se reflète dans les résultats. »
Bien que la vacation n’ait pas été passionnante, un lot unique du département automobile de Sotheby’s, RM Sotheby’s, proposé juste avant cette vente du soir d’art moderne, a fait beaucoup de bruit. Une Ferrari 250 GTO de 1962, rare sur le marché et qui s’est illustrée sur les circuits – notamment aux 24 heures du Mans –, a été adjugée à 47 millions de dollars (51,7 millions de dollars avec les frais). Bien qu’estimée à plus de 60 millions de dollars, il s’agit du prix le plus élevé pour une Ferrari vendue aux enchères. Cependant, tout le monde n’a pas été impressionné. « Je préférerais posséder une voiture de Keith Haring plutôt qu’une Ferrari » a ainsi déclaré le collectionneur d’art contemporain Larry Warsh, qui faisait partie de la foule assistant à la vente.