Musées et centres d’art, fondations et collections privées, artists et curator-run spaces, ils sont près d’une cinquantaine associés à l’édition 2025 d’Art Brussels, sans oublier plus d’une soixantaine de galeries qui se mettent au diapason, afin de proposer des expositions aussi riches que variées, se bonifiant d’année en année. C’est la raison pour laquelle la fin du mois d’avril reste le point culminant de la saison artistique bruxelloise. Toutefois, si la concurrence s’avère des plus sévères, ces initiatives sont heureusement réparties sur plusieurs semaines en amont et en aval de la Foire.
Bozar sur le devant de la scène
Depuis l’arrivée en 2023 de son nouveau directeur général, Christophe Slagmuylder, et de sa nouvelle directrice des expositions, Zoë Gray (précédemment commissaire d’exposition au WIELS), le Palais des Beaux-Arts (Bozar) a retrouvé de sa superbe et renoué avec son ADN. Celui d’une « programmation d’expositions tant contemporaines qu’historiques, en lien avec les questions sociétales actuelles et en étroites collaborations avec les autres disciplines artistiques présentées à Bozar », comme l’annonçait le directeur au moment de sa nomination. Les choses se vérifient avec la reprise de l’exposition hors normes qui s’est tenue précédement au Zeitz MOCAA, au Cap, et au Kunstmuseum Basel|Gegenwart à Bâle en 2024, « When We See Us. A Century of Black Figuration in Painting ». Véritable kaléidoscope, cet ensemble apporte un regard inédit sur la représentation des artistes noirs par eux-mêmes, au travers d’œuvres de plus de 120 artistes d’origines diverses. Il s’agit, dans la plupart des cas, d’une peinture jouissive où il est tout autant question de sensualité et de spiritualité que d’émancipation et de vie quotidienne, bien que la douleur et l’injustice y soient aussi présentes, en filigrane.
Ces questions sociétales trouvent de nombreux échos dans « Familiar Strangers », ces étrangers familiers que sont « les Européens de l’Est vus d’un point de vue polonais », pour reprendre le titre de l’exposition montée dans le cadre de la présidence polonaise au Conseil de l’Union européenne. Entre art et activisme, sur fond d’agression de l’Ukraine par la Russie, cette proposition s’attache à montrer les luttes politiques, identitaires et existentielles des diasporas et des minorités, ainsi que les liens entre individuel et collectif, ou sphères privée et publique. La double vidéo Repeat After Me (2022 et 2024) du collectif ukrainien Open Group (dont certains membres résident en Pologne) offre un portrait visuel et sonore très fort de réfugiés traumatisés par le bruit des armes et des bombardements dont ils ont été victimes ou témoins.
C’est à la plasticienne belge Berlinde De Bruyckere que Bozar consacre une monographie d’importance dans l’autre partie de ses salles. Le BelgianArtPrize, qui fête son 75e anniversaire, fait par ailleurs son retour dans l’institution qui a vu naître le prix de la Jeune Peinture Belge. À la suite d’une campagne délétère en 2020, ayant eu pour résultat l’annulation du prix, l’exposition collective de naguère fait place à celle d’une seule récipiendaire, l’artiste japonaise installée à Bruxelles Suchan Kinoshita, laquelle concevra des œuvres pour l’occasion. La célébration des 75 ans du BelgianArtPrize, paradoxalement à Art Brussels, prend la forme d’une exposition rassemblant huit lauréats : Els Dietvorst, Ann Veronica Janssens, Juan d’Oultremont, Sébastien Reuzé, Emmanuel Van der Auwera, Pieter Vermeersch, Leen Voet et Sophie Whettnall. Ils sont invités à composer un duo avec un ou une artiste n’ayant jamais participé au prix tout en y étant éligible.
L’équilibre précaire des artist-run spaces
Disséminés à travers tout Bruxelles, des plus anciens, comme Établissement d’en face (fondé en 1991 et présentant Bernd Lohaus et Nora Schultz) ou L’escaut (créé en 1989 et exposant Olivia Lennon et Jan van Schaik), aux nombreuses initiatives plus récentes, telle la structure nomade SB34, en passant par Plagiarama, pilier historique du Rivoli depuis onze ans, les espaces dirigés ou portés à bout de bras par des artistes ou des commissaires indépendants n’ont cessé d’irriguer la multidisciplinarité et la transversalité de la scène artistique bruxelloise et sa dimension internationale. Qu’Art Brussels les intègre en nombre à son parcours off témoigne de leur reconnaissance et de leur importance malgré la fragilité endémique de quelques-uns. Certains s’emparent des lieux connus du patrimoine bruxellois, tels la chapelle de Boondael, à Ixelles (qui propose « Mirage » de Camille Truyffaut, sous la houlette de Grégory Thirion, le directeur des expositions au Botanique), ou l’Espace européen pour la sculpture, aux abords de la forêt de Soignes (qui accueille les installations et œuvres nouvelles de l’artiste polonaise établie à Bruxelles, Tatiana Wolska). Parmi les autres expositions personnelles, citons : l’Allemande Ulla von Brandenburg dans la boutique de l’Entre deux portes (espace tenu par la structure Jeunesse et Arts Plastiques) ; la Croate Hana Miletić chez Minerve, à l’instigation de Maud Salembier qui en assure la programmation ; ou encore le duo composé du Belge Koen Vanmechelen et du Hongrois Sándor Körei à l’Institut Liszt.
Cette fragilité endémique, que la situation budgétaire pour le moins délicate de la Fédération Wallonie-Bruxelles ne risque pas d’améliorer à court comme à moyen terme, pas plus que la remise en cause récente de l’existence du ministère belge de la Culture, a poussé les acteurs culturels à s’associer pour défendre et faire valoir leurs intérêts. Ce sont d’abord les artistes qui, en 2020, à la suite de la pandémie due au Covid-19, ont créé la Fédération des arts plastiques. Leurs revendications portent sur des domaines essentiels comme la juste rémunération des plasticiens, la réforme de leur statut et l’établissement d’une charte générale de bonnes pratiques dans les arts plastiques. Au début de l’année 2025, c’est une Assemblée des structures en arts plastiques qui est mise sur pied. Cette première fédération des opérateurs du secteur regroupe des petits centres culturels comme d’importantes institutions telles que le WIELS, la Centrale électrique et le Botanique, à Bruxelles, le MAC’s au Grand-Hornu ou encore le BPS22 à Charleroi. Elle a pour ambition « d’améliorer les conditions de travail de l’ensemble des professionnel(le)s et a fortiori des artistes, et de valoriser la force économique, sociale, éducative, culturelle et politique du secteur ». Elle se positionne comme l’interlocutrice privilégiée des responsables politiques des différentes entités concernées sur les territoires wallon et bruxellois.
La création de ces deux structures témoigne, outre de la fragilité récurrente du secteur, de la prise de conscience salutaire de la part de ses principaux acteurs face aux pouvoirs publics méconnaissant la réalité du terrain, que cache peut-être l’impact médiatique d’Art Brussels.
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« When We See Us. Un siècle de peinture figurative panafricaine », 7 février-10 août 2025;
« Berlinde De Bruyckere. Khorós », 21 février-31 août 2025;
« Familiar Strangers. Les Européens de l’Est d’un point de vue polonais », 14 mars-29 juin 2025;
« BelgianArtPrize 2025 : Suchan Kinoshita », 24 avril-29 juin 2025,
Palais des Beaux-Arts (Bozar), rue Ravenstein, 23, 1000 Bruxelles,